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LUCILE, EL


— Le fait est, lui répondis-je, que mon inaction com- mence à me peser. Je ne serais pas fûché de voir un peu de

rès ces Vendéens, que l'on a représentés comme si lerri- |

les et qui pourtant ne se montrent jamais.

Cherche-à-Manger, en m’enténdant m'exprimer ainsi, se- coua, à plusieurs reprises, sa Lèle d’un air narquois,

— Quoi ! continuai-je, contrarié par celle marque tacite de doute ou d'improbation, voudriez-vous aussi essayer de me prouver que Les brigands sont à la hauteur de leur réputation ! Je vous préviens qu'autant j'ai été-crédule jadis, autant je suis devenu sceptique.

— Attendez douc au moins avant de formuler une opi- nion aussi tranchée, me répondit enfin Cherche-à-Manger, en accompagnant ces paroles d'un singulier sourire, atten- dez donc au moins que vous vous soyez trouvé face à face el en ligne avec les brigands, Personne ne déteste plus que moi cés enragés et n'éprouve un. plaisir tel que je le ressens à les hacher à coups de sabre, mais ma haine ne m'empé- che pas de reconnaître et d’avouer qu'ils se ballent admira- blement bien.

— Bah! laissez-moi donc tranquille avec vos exagéra- tions, capitaine, m'écriai-je. Vous voulez tout bonnement, en grandissant le courage de vos ennemis, augmenter volre gloire, Je vous dis et je vous répète, moi, que si ces Ven- déens n'étaient pas, comme ils le sont, des lâches, ils au- raient depuis longtemps déjà attaqué notre camp, défendu seulement par huit cents hommes de troupes, ÿ compris deux cents de la réquisition.

Voyant que Cherche-à-Manger ne me répondait pas, je me relournai de son côté. Le col et les oreilles tendues, Les

eux démesurément ouverts, le capitaine semblait explorer l'horizon avec une attention inquiète.

— N'apercevez-vous point là, devant nous, aux dernières limites que peut atteindre la vue, comme un tourbillon de

oussière? me demanda-t-il vivement et en coupant court à a conversation.

— Oui, en efet, vous avez raison, répondis-je après avoir regardé dans la direction qu'il me désignait, Est-ce que les brigands voudraient donner un démenti à la mau- Yaise opinion que je viens d'émettre sur leur compte, ajou- lai-je en souriant, car il:me semblait de toute impossibilité que les Vendéens osassent nous attaquer en plein jour, et l'air effaré de Gherche-à-Manger me paraissait tout à fait hors de propos. à

—- Venez, me dit-il, sans répondre à ma question et en doublant le pas, celte poussière, qui indique l'approche d’un corps de cavalerie, m'inquiète d'autant plus, que nous n’at- tendons, si je ne me trompe, aucun renfort aujourd’hui.

— Bah! c'est un détachement de la garnison de Nantes qui vient chercher du blé, répondis-je toujours plein de sécurité.

— Au fait, c'est possible! N'importe, avançons.

Nous trouvâmes, en arrivant, dix minutes plus tard, à la droite du camp du coté de Montaigu, un détachement d'un bataillon de réserve. Cherche-à-manger, quittant alors mon bras, courut vers un lieutenant qui, la pipe à la bouche et les bras croisés derrière le dos, se promenait philosophique- ment devant Le front des troupes.

— Lieutenant, lui dit-il vivement, où est votre comman- dant?

— À Nantes, capitaine, avec l'état-major,

— Vous êtes le seul oficier ici?

— Le seul, capitaine, ce qui ne me rend pas plus occupé pour cela! Mais à quoi bon ces questions, je vous prie?

— Quel est le nombré d'hommes: du bataillon de réserve dont vous disposez en ce moment? reprit, toujours avec une vivacité croissante, Cherche-à-Manger, et sans répondre au lieutenant,

— Cent douze hommes, capitaine,

— C'est bien. Hâtez-vous de leur faire prendre les armes.

L'ollicier, à l'air dont parlait Cherche-à-Manger, com- prit qu'il devait se hâter avant tout -d’obéir. Il s'empressa donc de faire exécuter le mouvement ordonné, En moins de cinq minutes, lés cent douze hommes du bataillon de la ré- serve, aligaës dans un ordre parfait, présentaient une ligne


de baïonnettes étincelantes. Le tourbillon de poussière aug- mentait de plus en plus de densité.

Gherche-à-Manger se wit alors à expliquer au lieutenant le sujet de ses craintes, mais, aux premiers mots qu'il pro- nonça, le lieutenant l'interrompiten souriant, et d'une voix où perçait une nuance involontaire et presque imperceptible de moquerie:

— Je m'étonne, capitaine, lui dit-il, que vous, que l’on cite à trente lieues à la ronde comme étant"celui de tous les officiers qui connaisse le mieux la guerre de la Vendée, vous vous 80yez laissé aer à un pareil mouvement d'inquiétude. Vous ne devez pas ignorer que les brigands n’altaquent ja- mais les camps défendus par des retranchements…

— Si vous-me connaissez si bien, citoyen, s'écria Cher- che-à-Manger en fronçant les sourcils et en interrompant le lieutenant, vous devriez savoir que j'ai les observations, surtout quand elles viennent d’un inférieur, en horreur,

— Je regretle, capitaine, de vous avoir déplu, se hâta de reprendre le lieutenant avec une déférence qui me parut venir plutôt de la crainte qe lui inspirait le caractère de Cherche-b-Manger que de la différence de grade qui exis- tait entre eux deux ; si je me suis permis de plaisanter, c'est que j'étais averti de l'approche d’une colonne expédition- maire qui doit nous arriver aujourd'hui de Montaigu.

— Eh! que nedisiez-vous cela tout de suite, s.. n effet, j'aperçois les uniformes des hussards!

El, à environ cinq cents pas en avant du camp, l'on voyait un détachement de hussards républicains s'avauçant au pelit trot.

— Continuons notre promenade, me dit brusquement Cherche-à-Manger, honteux de sa méprise.

— Vous voyez, capitaine, que vous faisiez trop d'honneur aux brigands, en leur supposant l'audace de nous attaquer en plein jour, lui répondis-je. 4

Cherche-à-Manger ne me répondit pas: mais il accéléra le pas en se dirigeant du côté opposé à celui par où venaient les bussards, probablement afn de ne pas apercevoir da= vantage Le détachement républicain qui venait de l'induire si grossièrement en erreur.

À peine avions-nous fait cent pas, lorsque des cris aigus de détresse el de douleur nous firent retourner la tête.

Nous aperçûmes les prétendus hussards républicains qui sabraient avec fureur les troupes du bataillon de la réserve, déjà mises en fuite, ‘

À ce spectacle aussi terrible qu’inattendu, je sentis mon sang se glacer dans mes veines el mes jambes se dérober sous mo.

— Eh bien! me dit Gherche-à-Manger d'un air ravi, m'é- tais-je trompé? Ne perdons pas de Lemps, courons, courons réunir des troupes!

Le premier mouvement de la surprise passé, je pris un élan désespéré et je m'élançai dans la direction opposée à celle que suivait l'ennemi. Quelque rapide que fût ma course, je n'entendais pas moins retentir derrière moi les cris des

lessés qui tombaient sous le sabre des Vendéens.

Comment peindre à présent l'incroyable confusion qui régnait dans le camp. Nos hommes surpris, désarmés au milieu de leurs préoccupations et de leurs loisirs, en proie à une panique sans nom, se précipitaient les uns sur les antres sans savoir ce qu’ils faisaient, et augmentaient ainsi le dan- ger de notre position.

Ce fut bientôt un sauve qui peut général : les soldats qui, par hasard, se trouvaient avoir leurs fusils, au lieu de s'en servir pour arrêter l'ennemi, les dirigèrent contre leurs pro- pres camarades afin de se frayer un passage.

I me faudrait l’aide d'un pinceau, un grand talent d’ar- tiste, el encore ma lâche serait-elle probablement au-dessus de mes forces, pour rendre la scène de terreur, de désola- tion el de lâchelé qui suivit la surprise de notre camp par les Vendéens,

Un seul homme peut-être, parmi nous, se montra à la hauteur du danger; je veux parler du capitaine Gherche-à- Manger. Se jetant au-devant des fuyards, el essayant de les arrêter, il fil tout ce qui était humainement possible de faire


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