Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

à

CS

20 : LUCILE,


table me rappela mon pauvre ami Anselme, et w’arracha un soupir de regret, Quelle lutte homérique eût été celle de mon ancien compagnon d'armes et de mon nouvel hôte! Le verre et la fourchette en main, ils eussent certes tenu (êle à eux deux à une compagnie entière de grenadiers à jeun.

— Eh bien! adjudant, me dit Cherche-à-Manger lorsque, — je n'ose sa faim, car cet homme devait loujours avoir faim, — mais lorsque sa voracilé fut un peu calmée, comment trouvez-vous l'ordinaire du camp?

— Si cette profusion de plats et de bouteilles constitue votre ordinaire, je dois avouer qu'il est digne d’un Gar- ganlua.

— Le fait est que nous serions injustes de nous plaindre, Nous nageons, grâce aux brigands, dans l'abondance,

— Comment cela, grâce aux brigands ? Est-ce que ce sont les Vendéens qui pourvoient avec une Lelle générosité à vos besoins ?

— Oui, adjudant, eux-mêmes. Prélendre à présent que cette générosité est de leur goût, cela serait mentir. Au con- traire, il n'y a rien au monde d'avare et de mesquin comme les brigands; seulement, grâce à nos mousquels el à notre couragè, nous nous emparons de tout ce qu'ils possèdent.

Voila pourquoi l'abondance règne ici, Vous ne sauriez vous imaginer quelles magnifiques trouvailles certains de nos camarades ont faites dans les fermes. Les habitats ont l'habitude d'enfouir leur argent en terre. Quand on tombe sur un de ces nids, je vous promels que l'on ne perd pas son temps, Le camp de la Roullière renferme de très-grandes richesses.

Au sortir de table, le capitaine, après un moment d'hési- tation, me proposa, moyennant un prix assez raisonnable qu'il me fixa, de me prendre en pension. Je m'empressai d’accepler.

— Capitaine, lui dis-je au moment de m'en aller, voulez- vous me permellre de vous adresser une question indiscrèle, ‘el à laquelle personne n'a [à encore me répondre d’une fa- çon calégorique, sur une chose qui excite vivement ma cu- riosité ?

— Vous êles un mauvais mangeur, mais vous me semblez un bou garçon, me répondit-il; parlez sans crainte de m'of- fenser, personne n’est avec les amis moins susceptible que moi. Quelle est celle question?

— Je voudrais bien savoir, capitaine, d'où vous vient le nom de Gherche-à-Manger ?

— De ce que toutes les fois que je suis chargé de com- mander une expédition, je dis à mes hommes pour les en- housiasmer: « Mes amis, allons chercher à manger ! » Je suis maintenant tellement habitué à mon sobriquet, que j'ai

peu près oublié mon véritable nom. Au reste, les géné- raux ne me désignent plus dans leurs rapports que par « le capitaine Cherche-à-Manger! » et le payeur se refuse-


\ +) Tail à me remettre ma solde si je signais mon reçu autre-

ent.

æ + — Merci, capitaine, de votre explication, et au plaisir de Lyous revoir. Ah! à propos, à quelle heure dois-je venir

prendre mes repas? — A l'heure que vous voudrez, Je suis toujours à table. J'appris, en quittant ce singulier personnage, que le com mandant en chef de l'armée de l'Ouest, le général Vineux, venait d'être rappelé. nonçait comme devant le rem- placer le général Alexandre Dümas-n officier qui avait servi sous ses ordrËS7 it beaucoup person Den nous fit du général un éloge pompeux. « C’est,

nous dit-il, un véritable paladin des temps fabuleux égaré au dix-huitième siècle, Doué d’une force herculéenne, d'une intrépidilé surhumaine et d'un merfeilleux sang-froid, il vous fait comprendre, quand il charge sur l'ennemi, les ex

ploits merveilleux des hauts barons de Charlemagne. Ro.

land moderne, il ne le cède en rien au héros des plaines de Roncevaux. »

Pour en finir avec cette individualité si pleine d’origina- lité du général Dumas, que je regretle, les événements ne m'ayant jawais mis en rapport avec lui, de ne pouvoir ré= produire dans le cours de ces mémoires, je dois ajouter qu'à


la suite d'un second mariage contracté par son père, le mar- quis Davis de la Pailleterie, ancien aide-de-camp du maré- chal de Richelieu et commissaire général de l'artillerie sous Louis XVI, le jeune Alexandre s'engagea en 1784 comme simple soldat dans le régiment de la Reine, Sept ans plus tard, il était général de division.

Le général Alexandre Dumas eut le noble courage, — bien supérieur à mes yeux à celui qu'il est du devoir de tout militaire de montrer sur le champ de bataille, —'de flétrir énergiquement les moyens horribles employés jus- qu’alors pour soumeltre la Vendée. Il donna bientôt sa dé- mission, en l'accompagoant de ces mois dignes de prendre place dans la postérité : « Je demande à servir comme sim- ple soldat dans une armée où l’on puisse faire des prison niers. »

Quelques jours auparavant, Savary, après lui avoir décrit les abominables excès commis par les colonnes infernales de Turreau :

— Qu'eussiez-vous fait, général, si de pareils ordres vous eussent été intimés ? lui demanda-t-il. x

— Si je m'y étais cru obligé, répondit Dumas, je me se- rais fait sauter la cervelle.

Or, comme ce que le général disait il le faisait, ces paro- les semblent plus glorieuses encore pour sa mémoire qu'une éclatante victoire remportée sur l'ennemi.

Ce fut le 47 septembre que le général Dumas arriva dans l'Ouest, pour remplacer dans le commandement en chef son collègue Vimeux, destitué le 17 août,

A présent je dois rétrograder de quelques jours dans mon récit, car, lorsque je fis la connaissance du capitaine Cher che-à-Manger, nous étions au 2 septembre, et de cette épo- que au 47 courant je devais être témoin d’un événement fort grave, el qui mérite, certes, d’êlre raconté.

Nous élions le 8 septembre, Dei une semaine que je me trouvais au camp de la Roullière, je commençais à mw’accoutumer à ma nouvelle vie militaire el à prendre en patience ma position, qui réellement n'avait rien de bien pénible, Des recrues que j'instruisais tant bien que mal, plutôt mal que bien, des patrouilles à faire daus l'intérieur du camp, la conversation criblée d'anecdotes du capitaine Cherche-à-Manger, et enfin quelques escapades à Nantes que je me permeltais incoguito, remplissaient assez agréu- blement mon temps.

Sans des expéditions dans les campagnes que la garde nationale nantaise dirigeait chaque jour, de notre camp, qui Jui servait de point d'appui et de ralliement, il m'eûl été parfaitement possible d'oublier que je faisais partie de 1° iuée de l'Ouest. Toutefois, sans en arriver à une conviction aussi agréable, je commençai bientôt à me rassurer complè- tement, et je restai fermement convaincu que celle guerre de la Vendée, si terrible vue de loin, avait été de beaucoup agérée et ne présentait pas le caractère de gravité et d'a-

nement qu'on lui allribuait. De temps en temps, il est vrai, il était bien question de


Charette, mais on le représentail Loujours soit comme étant

à la veille d’être pris, soit comme opérant à une grande dis. tance de notre camp. Le nom du terrible général qui, pen- dant les premières nuils de mon arrivée, avait pesé si péni- blement sur mon sommeil, ne me causa donc plus, après une semaine, aucune émotion à entendre prononcer ; j'en arrivai même à croire que ce Charelle, si redoutable et si redouté, ne devait sor immense réputation qu'à l'exagéra- tion calculée des généraux chargés de le poursuivre.

Le 8 septembre, vers les quatre heures de l'après-midi, je sorlais de table après avoir fait si consciencieusement hon- neur aux vins du capitaine, mon hôte, que j'étis, sinon ému, du moins fort gai. Je proposai à Cherche-à-Manger une promenade à travers le camp : il accepta,

— Je parierais volontiers, cher ami, me dit-il en passant son bras sec et nerveux sous le mien, je parierais volontiers un bœuf contre une poule que, si en Ce mument On vous proposait de faire une expédition duns l'intérieur du pays, d'aller, par exemple, d'ici à Foulenay, vous accepleriez sans hésiter ?