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semaines, demati à cor et à cri qu'on leur rende la berlé, el tremblent sans cesse à l'idée que leurs femmes pourraient devenir veuves, Vraiment, si cela ne dépendait que de moi, il y a longiemps que je me serais défait de tous ces lièvres enrégimentés !

Pendant que le capitaine me parlait, je l'examinais avec une curiosité dont il était certes digne. Qu'on se représente une figure balafrée en eroix par deux énormes coups de su- bre; figure maigre, jeune, osseuse, aux deux tiers cachée par d'énormes mouslaches, et soutenue par un cou long et décharné outre mesure,

Le reste de son corps en parfaile harmonie avea sa tête, présentait une maigreur de squelet(e ; toutefois on compre- nait, à la façon dont le capitaine faisait résonner le sol sous son talon nerveux, qu’il devait être doué d'une force mus- culaire peu ordinaire.

Quant à la loïletie du eapitaine, je renonce k en faire la description. Apart son épaulelte qui constalail son grade, rien n'indiguail certes en lui un oficier. Cet homme devait appartenir à la Bohème.

— Adjudant, mon ami, me dit-il en me désignant une ba- raque assez proprement construite et d'une apparence beau- coup moins misérable que les cahutes qui l’entouraient, voici l'état-major, Une fois ta feuille de route visée, situ veux venir manger un morceau el boire une bouteille de in avec moi, lu me feras plaisir. Tiens, voici où je de- meure, Silu ne me trouvais pas, — car j'ai encore une course à faire, — tu dirais à mon soldat de Venir w’avertir,

— J'accepte votre aimable invitation avec reconnaissance, capitaine, lui répondis-je; puis-je vous demander votre Dom?

— On m'appelle Cherché-ä-manger, el tout le monde me connail, me réponditil, en me tournant le dos et en s'é- loignant à grands pas,

Cette réponse du capitaine me surprit à un tel point que je restai l'air aburi et la bouche béante, sans songer à cou- ir après lui pour lui demander sil avait voulu s'amuser à mes dépens où s’il s'élait exprimé sérieusement.

J'allais me”diriger vers Ia bâraque. occupée par l'état- major du cunp, lorsque j'avisal, à quelques pas de l'endroit où je me trouvais, un vieux sergent qui semblait suivre avec un intérêt soutenu la cuisson d'un magnifique gigot de mouton embroché avec un sabre, et soutenu par quatre bà- tons fixés en croix dans la terre,

— Sergent, dis-je au vieux soldat, connaissez-vous le ca- itaine Cherche-à-Manger?

Le sergent me regarda avec de grands yeux étonnés.

— Parbleu ! je crois bien, qui est-ce qui ne connaît pas Cherche-à-Manger ?

— Moi, sans doute, puisque je vous interroge sur son compte, ê

— Alors ça prouve que vous ne faites pas partie depuis longtemps de l'armée de l'Ouest. © — En eff, je suis arrivé aujourd'hui; mais je vous en prié sergent, apprenez-moi si ces mots de « Cherche-à-

Manger » représentent, comme je le suppose, un sobriquel Où un no propre,

— Dame! ça ne me regarde pas et je l'ignore; je sais qu'on n'appelle Le le capitaine autrement, et je ne me suis jamais inquiété si c'était son vrai nom, Pourtant, en y réflé- Chissant, à présent, jé crois qe c'est un nom de guerre, car le capitaine est le plus rude mangeur qui soit peut-être au monde, £

A ne feruit qu'une bouchée de ce beau gigot que vous voyez là, Qui, c'est probablement à son appétit phénoménal qu'il doit de s'appeler ainsi 1... Au reste, c'est un rude g lard et un fameux militaire, Il & iné de sa main et ait fusil. der plus de brigands qu'il n’a de cheveux sur la tête !

C'est peut-être le seul de nos ofliciers qui ose s'aventurer,

avec de faibles patrouilles, à travers le pays ! Il est si malin,

£L il connaît si bien et le terrain et la façon de combatire des Lrigands, qu'il n'a jamais encore été fait prisonnier! 11 com- Hi en ce Moment Les volontaires du camp de la Roul- iére,


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res soul-ils nombreux. ?

— Environ deux cents! si_vous êtes désigné, adjudant, pour faire partie de ce corps, permeliez-moi de ne Pas vous féliciter.

—Ces volontaires sont donc de mauvais soldats ?

— Eux ! ce ne sont pas du tout des soldats, me répondit le sergent en levant les épaules d’un rir de pitié

— Que sont-ils donc, ces volontaires ? ;

— Des époux inconsolubles qui pleurnichent en songeant à leurs moiliés ; des marchands de cotonnade ou des épiciers qui soupirent après leur comploir ; des gamins à peine sora tis de l'école. des tout ce que vous voudrez, en un mot, excepté des militaires! Je ne conçois vraiment pas à quot les représentants du peuple songent en nous embarrassatl de toutes ces nullités qui sont incapables de rendre le moins dre servics qui consomment le quart de nos provisions de bouche. S'il ne se Lrouvait pas dans le camp de la Roul- lière environ.six cents el quelques hommes de ligne, avant quarante heures, il serail au pouvoir des brigands.

— Quoi! le camp de la Roullière, qui me paraît vecuper près d'une lieue d'étendue , ne renterme environ que six cents hommes de Lroupes régulières! d au sergent; mais ou ces forces sont insufisantes pour le garder, el alors nous courons les plus grands dangers, ou bien si elles tien- nent les brigands en respect, il faut alors que ces derniers soient peu à craindre, et nos chefs ont Lort de ne pas nous lancer à leur poursuite,

Le vieux sergent m'avait écouté en souriant d'un air nar- pois. r

FE — Cependant, né répondit-il, lorsque j'eus cessé de par ler, sauf le respect que je dois à voire grade, permellez moi de vous faire observer que vous ne savez pas ce que vous diles. Au resle, lous ceux qui nous arrivent, soil de Paris, soit des armées de la frontière, ont la manie de vou- loir juger du premier coup d'œil la guerre de la Vendée, et c'est alors parmi eux à qui déraisonnera le mieux, Sachez donc, pour votre gouverne, que les brigands, si hurdis el si entreprenants dans une bataille rangée, se laissent arrêter par les moindres fortifications. Le fossé qui entoure Je_camp sufit pour les tenir en respect et les empêcher de tenter un coup de main.

— Vous pouvez avoir raison, répondis-je d’un {on piqué au vieux sergent; toulefuis, et malgré voire expérience, je ne partage pas votre opiñion. I me semble impossible que les brigands qui sont, d'après votre éveu, si entréprenants et si hardis dans une bataille, se laissent épouvanter par Ja , vue d'une palissade eL d'un fossé. Que leur tactique suit. de=-— reculer devant les fortifications, c'est possible, mais je n’ac-


ceple pas d'autre-explicalion, et je reste plus convainou quev-è°-»

Jamais qu'il est imprudent de laisser la garde dede cawip.& à six cents hommes de ligne-et deux cents volontaires, Ed Après avoir fait celle réponse d’un lon digne, je w'éloi- gnai du sergent-rôlisseur, qui, soil dit en passant, ne mel parut pas avoir un grand respect pour la hiérarchie, et ÿe =. À me dirigeai vers l'état-major où je fs viser ma feuille 182 roule pour constater mun arrivée. +

Libre de tous soins, je songeai alors à rejoindre. Je_capi- laine Cherche-à-Manger; seulément, comme {j'avais oublié la baraque qu'il wavait désignée comme élunt sa demeure, je m'inlormai auprès du premier soldat que j'aperçus, et qui me l'indiqua afssnôt. Je restai persuadé que le vieux sergent, en me vanta fé Ou, si l'on aime mieux, la célébrité dont jouissait le capitaine, v’avait rien exagéré.

Gherche-à-Manger était sur le seuil de la porte de sa ca= bane lorsque j'arrivai; en me voyant, il s’empressa de venir à ma rencoulre, et me saisissant par le bras :

— Allons, lambin, dépêchez-vous, me dit-il en:m'entrai- ant avec lui, je suis à jeun depuis plus de deux heures, et je meurs de faim.

Cinq minutes s'élaient à peine écoulées que j'étais ass devant une table couverte d'énormes tranches de viande froide, de jambons et de vombreuses boyteilles de, vin.

La prodigieuse facilité avec laquelle le capitaine fit bientot disparaitre une partie des mets et des boissons placés sur La