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ue s’il suffisait de ma vie pour sauver ceux de vos collè-

&ues qui sont encore détenus, j'en ferais volontiers le sacri cel Mais permeltez-moi une question : comment se fai

que vous vous trouviez en ce moment à Saint-Lazare ?

— Je l'ignore, répondit le curé. J'ai reçu, il y a environ quinze jours , Ja nouvelle que l'on allait me transférer dâns une maison de Paris, et me voici. 1 est probable qu'un ami inconnu se sera intéressé à mon sort, et aura ainsi oblenu celte faveur.

— La plupart de vos collègues sont donc encore en ce moment dans la rade d'Aix?

.— Ils y son tous : je suis peut-être le seul qui soit sorti vivant de ces Lombeaux flottants ! Mais j'ai oublié, en ache- vaut mon récit, de vous dire que ma captivité ne s'est pas passée entièrement sur le vaisseau les Deux-Associés. Je fus trausbordé, 1 y a environ trois mois, sur le navire l'Indien. Je suis heureux, à ce sujet, de constater que le commandant de ce navire faisait lous ses efforts pour améliorer notre épouvantable position : je l'ai vu plusieurs fois ému jusqu'aux larmes à la vue de nos souffrances! Malheureusement son humanité l'a fail deslituer au bout de quelques semaines.

— J'ai écoulé avec le plus vif intérêt votre lamentable histoire, dis-je à mon tour au complaisant narrateur, et j'es- père, si, je vous le répète, Dieu me donne vie, la publier un jour. Seulement je ne vous cacherai pas que je n’userai pas d’une modération semblable à la vôtre. Vous avez donné tout à l'heure les franches coudées à notre imagination pour qu'elle ait à deviner les tortures que vous avez subies. Eh bien! je profiterai de celle permission pour stigmaliser vos bourreaux, Devinant par déduction la vérité que votre gé- nérosité vous a porté à affaibli, j'entrerai dans des détails de votre captivité, qui feront frémir.

— Voilà, au contraire, ce que je vous supplie de ne point faire, s'écria le bon curé avec vivacité. Je ne ressens dans mon cœur ni haine, ni colère, et je serais désespéré que ma confiance en vous devil, entre vos mains, une arme pour frapper mes persécuteurs. Promettez-moi, au contraire, que


jamais vous ne rapporterez un mot de ce que je viens de vous raconter,

— Moi, je ne puis vous faire celte promesse, répondis-je avec énergie, IL faut que l'on sache plus tard, si jamais la France laisse faire une nouvelle révolution, quels ont été les hommes de notre époque, Et puis, la justice avant tout, Il faut bien marquer la différence qui existe entre là glorieuse date de 89 et celle ignoble de 93.

— Eh bien, puisque vous tenez absolument à écrire l'his- toire de ma captivilé, me prometiez-vous, au moins, que vous ne vous écarlerez en rien des notes que je vais rédiger et que je vous remettra ?

— Oui, monsieur le curé, je vous le promets.

Le lendemain du jour de celte conversation, le bon prètre me remit en effet un manuscrit : c'est ce manuscril que je viens de rapporter ici sans en rien changer. Nous eùmes ce


“jour-là une fausse joie : nous apprimes que notre concierge

Semé venait d’être destilué. Nous crûmes d’abord que cette destitution était motivée par les traitements cruels dont ce misérable usait à notre égard.

Gombien nous nous trompions : la disgrâce de Semé ve- nait au contraire de ce que les administrateurs le trouvaient trop doux,

Ge fut le premier porte-clefs du Luxembourg, le nommé Verney, qui hérita du pouvoir illimité de Semé. Au reste, ce dernier n'en fut pas moins conservé en sous-ordre dans la maison Lazare; on savait qu'il pouvait ètre un. auxiliaire précieux.

Verney, qui était porteur d'une figure ignoble, et qui de- puis longtemps avait déja donné des preuves d’une scéléra- tesse inaccessible au remords, signala son entrée dans notre prison par un ordre du jour qu'il fit placarder sur les murs de nos corridors, et qui élait un véritable chef-d'œuvre d’in- famie. Cet ordre du jour nous livrait pieds et poings liés à la cupidité effrénée et à la brutalité sans bornes de nos gui- chetiers. Ce fut une consternation générale.

Dans le cours de la journée, — nous élions alors au 3 ahermidor, — Verne nous passa ea revue; il tenait à jouir