Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 4, 1866.djvu/33

Cette page n’a pas encore été corrigée

MONSIEUR JACQUES,

81


moilié rempli de vin et

— Où suis-je? m'écr souvenirs, F

— Chez un bon-patriote, me répondit le gros homme ; mais, dis-moi,-citoyen, il parait que lu as voulu assassiner un de mes guichetiers? Hum! hum ! Est-ce que lu 1e figures bonnement que la République n’entretient des guicheliers que pour les offrir en guise d'amusement aux détenus ! Tu es acousé également de refuser à manger pour faire de l'oppo- silion au gouvernement! Je L'avertis que j'en ai informé le comité, dès le premier jour; c'était mon devoir, elle comité m'a répondu : « Eh bien ! il faut le laisser crever de faim ! » Ainsi, mange on ne mange pas, ça m'est bien égal; j'ai pris mes précautions, je suis à couvert! Mais revenons à mon guichetier,

— Avant de répondre à les questions, dis-je au gros lonme, je désirerais savoir qui lu es ?

— Qui je suis! répéta-il en riant aux éclats; ta de- mande me semble passablement impudente ! Est-ce que cela te régarde! Après tout, je veux bien Le répondre... Je suis concierge, je suis greflier, je suis magistrat. je suis lout ici...

— Concierge, greffier ou magistrat, lui répondis-je, je a ventis que jene m'en relournerai pas dans mon cuchol,

— Ah bah ! tu crois? Et comment feras-tu pour ne pas relournér à Lon cachot ?

— Je me ferai tuer en résistant,

— J'aine à l'entendre parler ainsi, dit le concierge en se remplissant sun verre. Ça mé prouve que lu es un bonb.. ! Je parie que nous allons nous entendre, Voyons, causons sé- rieusement. Que désires-lu? que veux-tu?

— de désire une nourriture supportable, c'est-à-dire du pi que je puisse manger, de l'eau que je puisse boire, el je-ne-véux plus mo retrouver plongé dans la vermine !

Tu es exigeant; mais tout peut s'arranger. Ecoute, i un bon chef dans ma cuisine, et on lrouve chez moi tout ce qu'on désire. avec de l'argent, s'entend, — ajouta le concierge après une légère pause. — As-lu de l'argent ? Toute là question est la,

— Je possède 5 à 6 écus, répondis-je en baissant la léle.

— Autant que cela! Mais-c'est un fort joli denier, s'écrin le concierge en éclntatit-de rire, juste.ce que je dépense à un de mes diners!... Et lu ne peux rien te procurer dans {a famille ?

— Ma famille habite la provincel Toutefois, je suppose que mon oncle, qui est l'ami iutime de Robespierre, se trouve en ce moment à Paris, Si tu m'accordes l'autorisation de lui écrire, iles fort-possible qu'il m'apporte des fonds.

"Ah! lon oncle est l'ami du grand Robespierre, répéta le concierge ‘qüi;*en prütiongant ce nom si redouté, souleva son bonnel phrygieu, Eh bien alors, comment se. fait-il qu'il te laisse ici?

— Tu ne dois pas ignorer que les formalités pour libérer M prisonnier sont malheureusement assez longues à re plir.

= C'est, vrai, Ainsi, on oncle ‘est l'ami de Robespierre ? répéla de nouveau le concierge d'un air soucieux; mais à propos, poursuivit-il après un court silence, coimnent te nommes-lu, Loi?

Je m'empressai de décliner mes noms et prénoms.

== Attends done! s'écria Je puissant personnage en mir terrompant. Ilme semble que lon nom ne m'est pas inconnu ! Oui,:on m'a parlé tout dernièrement de toi. A présent, étai ce pour te recommander à ma sévérité ou à ma bonté, voilà ce que je ne me rappelle plus. Je suis si occupé... j'ai tant d'affaires !

- Le concierge se versa alors un troisième verre de vin, puis agità ne sonnelte placée à ses côtés sur la table : presque aussiLOt Un guichetier que je n'avais pas encore vu fil son entrée dans îe salon,

— Dis-moi done, Isidore, lui demanda le concierge,


ns lequel il trempait un biscuit. je en cherchant à rappeler mes

je pas reçu une recommandation eu une leltre pour le détenu du cachot numéro 47, ici présent?

— Une lettre et un paquet, répondit celui que l'on venait d'appeler Isidore. ;

— Un paquet? s’écria le concierge en regardant d’un œil trouble les divers objets dont j'ai déjà parlé, qui encom- braient son salon, et qu'est-ce qu'il contenait ce paquel?

— Viugt-cinq louis en or ! répondit Isidore avec le n laconisme. io :

— Ab bah! tu crois? au fait, tu pourrais bien avoir rai son, Tiens, j'aperçois justement devant moi, sur ma fable, une lettre qui accompagnail cet envoi. Sais-lu lire, cie toyen? me demanda le concierge, en me présentant, d'une main que l'ivresse rendait lremblante, le billet en ques- tion.


ne


Gerles, répondis-je en m'en emparant avec vivacité. Ah! quelle joie profonde, quelle douce émotion m'agita le cœur, lorsqu'en décachetant cette lettre, je reconnus l' ture de Riouffe, « Mon cher ami, m'écrivait-il, notre ange gardien, notre excellente concierge, la citoyenne Richard, we remet à l'instant, pour que je vous les fasse parvenir, vingt-cinq Jouis qu'elle est parvenue à obtenir sur la somme que l'on vous a volée lors de votre entrée à la Conciergerie, el pour laquelle vous avez donné plus lard un reçu contre soixante-quine livres! Ce trait, digne du passé de notre ange gardien, n'a pas besoin de commentaires eL ne peul se payer qu'avec le cœur. Inutile donc que vous écriviez, pou Eféeretér 4'1à citoyenne Richard, Du courage, cher ami, pensez à moi comme je pense à vous. J'espère qué notre in- novence sera bientôt reconuue et que nous pourrons encore passer ensemble de bonnes heures d’inlimilé. A revoir, »

I! me serait diMicile d'exprimer en peu de mots tous les sentiments qui m'agitérenl pendant que je fis à haute voix la lecture de ce billet; l'admiration et la reconnaissance se dis- putuient mon cœur,

— Ainsi, me dit le concierge, Le voilh à la 1ôte d'un capi: ll de vingt-cinq louis! Donie-moi un reçu de celle sonme que je vais le remettre. Pourquoi cet air étonné! Me croyais- lu donc un voleur! apprends, citoyen, que je n'ai jainais gardé une obole de l'argent que l'on envoie à mes prison= niers, Je n'accepte que les legs que me font les condamnés à mort, et le prix des objets que je fournis. Si lu consens à payer six livres par jour, je me charge de te fournir une nourriture succulente, Ce marché le va-t-il?

— Gertes, répondis-je avec empressemént.

— Eh bien, Signe cë reçu.

J'étais si faible, et la longue conversalion que je venais d’avoir avec le conciérgem'avait tellément faligué, que j'eus loutes les peines du monde à tracer mon no au bas du pa- pier qu'il me présenta,

— Voici la somme qui te revient, moins toutefois cent quatre-vingts livres que je retiens pour lon premier mois de nourriture, me dit-il en comptant mon argent, À présent, lou va te servir à diner el tu retourneras ensuite dans Lon caclot,

— Oh! quant à cela, jamais! m'écriai-je avec force.

— Jumais! Tu es étonnant, parole d'honneur 1 On'dirait que c'est toi qui commandes ici et moi qui obéis! Tu es au secret, et il ne me sera permis de le réunir aux autres dé« tenus que quand tu auras passé Lon premier interrogatoirel Toutefois, je consens, et vraiment c'est trop de faiblesse de ma part, je consens à ce que Lu viennes prendre chaque jour tou”repas dans le réfécloire.

À présent, plus un mot! Pendant que tu vas diner on net- toiera Lon numéro 47. J'espère que je Le traite en favori et que Lu was pas à to plaindre, Cn ne fait rien, quoique je n'en veuille-pas à la citoyenne Richard de ce qu’elle l'a en: voyé ces vingt-cinq louis, je né puis m'empêcher de trouver qu'en s'occupant ainsi des affaires parüiculieres des détenus, elle manque de diguité et nc lient pas son rang, Ciloyen, an revoir, 5

Je voulus alors me lever, mais ma faiblesse était si grande,