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MONSIEUR JAGQUES. 92


+ mais pourquoi done, si-vous avez tant d'espoir, paraissez- vous si émue et toute tremblante? Je crains que vous ne nous cachiez la vérité. @

— Oh! non;mon cher monsieur, mon émotion vient, au contraire, de-cet espoir que l’un à fait luire à mes yeux. Ge Malin, lorsque je croyais comparaître devant Fou i

lle, J'étais forte, résolue et je me seatais prête ras riréfais, à présent que j'ai entreva la possibilité d'être rendue à la tendresse de mon père, à l’amour de mon époux, un complet changement s'est opéré dans mon cœur, j'ai peur; l'image de Ja guillotine apparaît sans cesse devant mes yeux. Je ne me sens plus ni résignation, ni courage.

(Que ne m'est-il donné de rendre sur ce papier ln grâce inimaginable avec laquelle la jeune femme fit celte réponse. Je me sentis, en l’entendant, des larmes dans les yeux.

Riouffe allait répondre, lorsqu'une certaine agitation qui se manifesta- parmi les prisonniers arr@la la parole sur ses lèvres el appela notre attention, C'était l'un des plus hauts fonctionnaires de la Gonciergerie, le citoyen- Bertrand, qui vebait de faire son entrée dans la partie de la prison occu- pée par les femmes, Or, l'apparition de Bertrand, on les vail, annonçait toujours un événement important, la plu du lemps une catastrophe sanglante : de là, l'agitation sée pâr sa vue.

Le citoyen Bertrand n'ignorait pas la terreur qu'inspirait sa présence ; aussi, loin d'entrer de suite en explications et de donner le motif de: sa venue, se croisa-t-il les bras et se

il à regarder les femmes, tremblantes devant lui.

Enfin; après-uneattente d'une minute qui nous parut du- rerune heure, et après qu'il eût bien jout de la terreur des pauvres ïes, le redouté Bertrand daigna s'expliquer.

— de viens chercher une citoyenne, dit-il lentement'et-en jelant autour de lui un long eu circulaire regard qui passa, -entsy-arrétant un moment, sur le front de tontes les + mes confiées à sa [yrannique surveillance, je viens clu une citoyenne Mais où donc estelle? je” ne l'aperçois px L'aurait-on déjà guillotinée par suite d'une erreur, Ah non... la voia! Citoyenne D***, je ne t'avais pas vue en en- tranl

— C'est done moi que vous demandez, citoyen Bertrand ? dit madame D°*, d'une voix étranglée par l'émotion,

— Oui, c'est toi que je viens chercher! répondit qui ment Bertrand. Ramasse les effels!..… et dépèche-toi, je suis pressé,

— Où devez-vous me conduire, cit mande la par femme, cui, pâle comme une mo blait au moment de perdre connaissance.

— EE répondrai plus tärd. Allons, allons, dépéche-toi ; 166 gebdarmes n'ont pas lé temps d'attendre !

-: Oh! je suis perdue! Père chéri, époux adoré, je ne vous reverrai plus! s'écria la pauvre jeune femme. N'est-ce Fes, citoyen, que l'on va me conduire à l'échalaue ?

L'ertrand, au lien de répondre à madame D###, se relour- na vers Jes prisonuières qui, mornes el silencieuses , alle: düent, je cœur mu el la poitrine. gonflée, la fin de cette scène, puis passant à plusieurs repises la main sur sou col

“el regardant la peuvre madame D** du coin de l'œil :

— Elle est lie, la pelite mère, dil-il en accompagaant ces mots d'un regard de salyre, réellement, c'est dommage !

—Adieu, compagnes de mes souffrances! Vous aussi, adieu, messieurs ! dit madame D*** en se relournant de n0= tre côté. Oh! ne craignez pas que je déshonore par ma blesse mon inaocence. Mon émotion est vive, car ce coup cruel.me frappe au moment où je me voyais à la veille d'être libre; mais, rassures-vous, je saurai imiter le courage des <arlyres, n0$ Compagnies qui soul parties avant nous, et qui nous allendent an Ciel{ Ma vie est pure, ma mort doit étre elle Encore uue fois, au revoir!

Plusieurs prisonnières embrassèreut. alors madame D*%* avec eflusion, mais sans Montrer dans ces derniers adieux ane nuance de faiblesse : Rioufe ne n'avait pas trompé, en me disant qu'à la Gonciergerie tout le monde savait aborder hardimeut l'échafaud1.1es femmes, surtout, melaient une

en Bert

grande et sublime coquetterie à sû parer de ce suprême cou- rage! ;

E 8... mille piques! s’écria bientôt Bertrand d’une voi: relentissante, celle comédie va-t-elle encore durer lông- temps? Allons, houp, partons; les gendarmes s’impatien-

nt.

Jr — Adieu, monsieur Riouffe, dit maïame D*#, tandis que Bertrand l'entrainait, si jamais Vous recouvrez votre liberté, répélez à mon père et à mon mari que Ma dernière pensée aura élé pour eux...

Adieu, éncore,

— Au revoir, madame! Jui répondit mon compagnon, Priez Dieu pour nous, qui restons sur la terre.

Je m'attendais à ce que le départ de madame D*** pro- duirait une profonde émotion sur ses compagnes : je me trompais.

À peine l'infortunée jeune femme avait-elle franchi le seuil de la porte, que les conversations, un inslant inter- rompues, reprirent leur cours comme si de rien n'élait!

— Que celle indifférence ne vous étonne ni ne vous indi- gne, me dit Riou, qui devina ma pensée: elle est naturelle, el vous se: juste envers nous en nous accusant d sibilité. Que voulez-vous? S'il fallait nous atlendrir sur le sort de chaque viclime que l'échafaud réclame, nos jours se passeraient dans le désespoir et dans les larmes,

— Oui, vous avez raison, Je conçois, en effet, en y réflé= chissant froïdement, qu’habitués à voir mille épées de Damo= elès suspendues sur vos têtes, vous n’éprouviez plus ni émo- tion ni surprise lorsqu'un fl se brise et qu'une existence cesse! Ah 1 depuis plus de quinze mois que vous habitez cet affreux séjour , à combien de drames n'avez-vous pas dù as- sister ! Ne serait-ce pas abuser de votre obligeance de vous demander quelques détails sur les personnes les plus illustres que vous avez connues,

— J'ai été lié d'amitié avec presque tans les Girandins, me répondit Rioufle, et je suis si fier de leur belle mort, que j'en parle plutôt avec joie qu'avec tristesse ! Jamais hommes ne se sont élancés avec plus de noblesse qu'eux vers l'im- mortalité !

— Avez-vous été lié personnellement avec leur chef Bris- sol?

— Moins: peut-être qu'avec Vergniaud, Valazé, Fonfrède, Düclos et Gensonné ; toutefois, j'ai zu de langues causeries avec lui. Brissot était unc nature éreile, mais timide. Ses intentions étaient excellentes; ce qui l’a perdu, c’est son honnêteté, Son mairlien et sa centerance, pendant son jour ici, ont été constamment: dignes et simples. IL n'es- sayait, ni dese hisser sur, un piédes{al, ni de se poser en grand homme. Ë f

Il se conteutait de rester citoyen. J'ignore quel jugement portera un jour sur lui l'histoire; quant à moi, en mon äme et conscience, je m’associe entièrement à ces paroles, que le noble et courageux Girey Dupré répondit dans son interro- gatoire :

« J'ai connu Drissol ; j'atteste qu'il a vécu’ comme Aristide


et qu'il est mort comme Sydney, mariyr de la liberté. » Ce-

jui de tous les Girondins qui a peut-être produit le plus d'impression sur mon imagination, c’est Valazé,

Un sourire doux et placide ne qnittait point ses lèvres ; il jouissait par avant-goûl de-sa mort glorieuse. On compre- nait, à la Gerté tranquille de son regard, qu'il était déjà li- bre, et qu'il avait trouvé dans une graude résolution la ga- rantie de sa liberté. .

Je lui disais quelquefois : « Valazé, que vous êtes friand d'une si belle mort , et qu'on vous punirait en ne vous con- dawuant pas! » Je me souviens encore d’une icularité intime de notre liaison ; Ja v : le dernier jour, avant de monter au tribunal, il revint sur ses pas, et me prenant, En souriant, la main :

— Mon cher Roule, me dit: que j'allais empor moi t Gardez-la, je vous prie, car c'est une arme dangereuse, ec l'on craint que nous n'atteu- lions à notre vie.


, voici une paire de ciseaux