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sait avec ardeur un gant que sa belle, — qu’il connaissait depuis dix ans à peine, — venait de laisser tomber du haut de la tour du Nord, lorsqu’un bruit de chaînes violemment agitées au-dessus de ma tête, me rappela à ma position présente.

Je t’avouerai que jusqu’alors je n’avais ajouté aucune foi aux propos de la vieille Babet, et qu’en demandant que l’on me donnât l’appartement du défunt, je n’avais qu’une seule idée, celle d’obtenir d’abord un bon souper, et ensuite des rafraîchissements à discrétion pour le reste de la nuit.

Ce bruit de chaînes dut donc me causer une certaine surprise.

Comptant davantage sur la petite force musculaire dont je suis doué, que sur mes armes, je sautai aussitôt en bas de mon lit et me précipitai vers le salon.

Juge de mon étonnement, lorsque je me trouvai subitement plongé dans la plus profonde obscurité.

Ma bougie, quoiqu’elle fût à peine entamée, venait de s’éteindre tout à coup.

Au même instant, une voix qui semblait descendre du ciel, retentit au-dessus de ma tête :

— Coupable incrédule, disait-elle, prosterne-toi devant ma puissance infernale, ou prépare-toi à mourir.

Ma foi, je suis, tu le sais mieux que personne, bon garçon au possible, toutefois, je ne te cacherai pas qu’en présence de cette audacieuse mystification dont on voulait me rendre victime, je sentis une fureur véritable s’emparer de moi, et que je me promis, si l’auteur de cette mauvaise plaisanterie me tombait sous la main, de l’étrangler bel et bien, pour lui donner une leçon profitable.

Feignant alors la plus vive frayeur, je tombai à genoux, et me mis à demander grâce.

Le prétendu spectre, ravi, ainsi que je m’en doutais, de ses prétendus succès, tomba dans le piége que je lui tendais, et voulut poursuivre son avantage ; ce fut du moins l’idée qui me vint, lorsque j’entendis un épouvantable bruit de chaînes retentir dans ma chambre.

— Bon ! me dis-je, je te tiens, à présent, trop imprudent mystificateur.

Joignant aussitôt l’action à la pensée, je me précipitai dans ma chambre :

Un singulier spectacle frappa ma vue.

Un spectre, recouvert d’un linceul qui traînait jusqu’à terre, se démenait et gesticulait avec une rare complaisance, tout en agitant dans sa main droite une torche de résine enflammée.

— Ce spectacle ne te causa-t-il donc aucune frayeur ? demandai-je à Anselme en l’interrompant.

— Allons donc ! me prends-tu pour un imbécile ! Si la torche, dont était armé le spectre, eût senti le soufre, à la bonne heure, je ne dis pas que je n’eusse éprouvé un certain moment d’hésitation ; mais elle exhalait une odeur de résine, par trop forte pour qu’il me fût permis de conserver le moindre doute sur la nature terrestre du prétendu revenant.

Tu sais que d’ordinaire je n’aime guère à me déranger inutilement, que je suis assez avare de mes mouvements ; mais en compensation, lorsque je me décide à sortir de mon apathie, à vaincre ma paresse, je ne connais personne de plus impétueux que moi. Tu ne t’étonneras donc pas, qu’en un bond, digne d’un tigre, je franchis la distance de quinze pieds qui me séparait du spectre, et que je tombai sur lui avec la rapidité d’une bombe. Il paraît que je le touchai assez rudement, car il roula par terre. Alors, sans perdre de temps, je me penchai sur lui et le saisis délicatement par la gorge.

— Tiens, pour un spectre, tu ne manques pas d’un certain embonpoint, lui dis-je ; voyons donc si la pâleur de la mort a laissé son empreinte sur ton visage. En parlant ainsi j’arrachai vivement le drap blanc dont le prétendu revenant était affublé : juge de ma surprise, lorsque j’aperçus une figure fraîche et imberbe, une tête d’adolescent.

— Il paraît, jeune homme, continuai-je, — du moins j’aime à croire cela pour motiver votre espièglerie, — que vous sortez du collège ? Voyons, répondez franchement à mes questions ; Comment avez-vous pu vous introduire dans ma chambre, et quelle est la raison qui vous fait jouer ainsi le rôle peu récréatif et presque sacrilège d’un habitant de l’autre monde ?

J’attendis en vain pendant près d’un quart de minute la réponse du jeune homme, et j’allais me fâcher de son silence, lorsque je m’aperçus que son visage s’empourprait d’une vive rougeur et que ses yeux semblaient prêts à sortir de leurs orbites.

— Parbleu ! si tu l’étranglais…

— Tu as deviné ! J’avais oublié de retirer ma main qui entourait le col du malheureux, et il paraît que cette main gênait beaucoup sa respiration, Je ne m’aperçus au reste de ce détail qu’à un mouvement instinctif que fit mon prisonnier pour écarter mon bras ! Je m’empressai alors de dénouer sa cravate, puis, inondant son visage d’eau glacée et lui présentant un verre de vin :

— Buvez, lui dis-je, cela vous remettra tout à fait.

En effet, cinq minutes plus tard, ce pauvre enfant, complètement débarrassé de sa légère oppression, retrouvait sa voix.

— Ah ! monsieur, me dit-il d’une voix suppliante, dès qu’il put parler, au nom du ciel, je vous en conjure, ne me perdez pas !… Ah ! si vous saviez… il y va du salut de toute ma famille…

— Nous causerons tout à l’heure de votre famille, lui répondis-je ; mais, avant tout, apprenez-moi comment vous avez fait pour vous introduire ainsi dans ma chambre.

— Par le plafond de votre lit, me répondit-il ; voyez : un ressort caché le fait tourner à volonté.

— Ma foi, c’est vrai ! voilà qui est fort ingénieux ! Qui donc à fait construire cette espèce de bascule ?

— C’est mon père, monsieur.

— C’est-à-dire le défunt, mort dans cette même chambre, ici, il y a quatre jours ?

— Hélas ! oui, monsieur, lui-même, me répondit le jeune homme avec un profond soupir.

— Vraiment, mon jeune revenant, je vous avouerai alors que votre conduite me semble d’une légèreté qui frise le sacrilége ! Quoi ! vous osez profaner par une plaisanterie ignoble, ou du moins de très-mauvais goût, ces lieux empreints encore du dernier souffle de votre père ?

— Ah ! monsieur ! s’écria le jeune homme en éclatant en sanglots, jamais un fils n’a plus que moi aimé et respecté son père. Croyez qu’il m’a fallu surmonter une répugnance presque invincible pour pouvoir parvenir à jouer mon rôle. Mais il s’agissait, je vous le répète, du salut de ma famille ! Si vous saviez dans quel drame épouvantable je me trouve mêlé, quelle affreuse tragédie s’est accomplie ici même, à l’endroit où nous nous trouvons en ce moment, non-seulement vous m’excuseriez, mais vous auriez encore pitié de moi, et vous m’offririez peut-être votre protection et votre appui.

Il y avait un tel accent, de sincérité et de douleur profonde dans la façon dont le jeune homme prononça ces paroles, que, malgré moi, je me sentis tout attendri.

— Je crois, monsieur, lui dis-je, que ce que nous avons de mieux à faire, pour ne pas perdre de temps, c’est, à vous, de me raconter votre histoire ; et à moi, de vous écouter avec attention. Ma voix est peut-être un peu rude, ma moustache un peu longue, mais, dans le fond, je ne suis pas un monstre de férocité. Si réellement vous êtes opprimé, et que je puisse vous être de quelque utilité, comptez sur moi : je ne recule jamais devant l’accomplissement d’un devoir !

— Ah ! merci, monsieur, me dit le jeune homme.

Oui, je parlerai ! Je suis bien jeune encore, mais la persécution m’a déjà appris à connaître les hommes, et quoique cette fois soit la première que nous nous rencontrions, je crois que vous êtes bon, loyal et dévoué. J’ai confiance en votre honneur et j’attends de vous un grand service.


XVI

Le jeune homme resta réfléchi pendant près d’une minute, puis, reprenant la parole :