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En effet, à partir de ce jour même, je me fis délivrer un certificat par un chirurgien dont j’avais fait la connaissance à l’ambulance, puis je m’en fus trouver mon commandant à qui je déclarai, qu’attaqué d’un rhumatisme aigu, il m’était impossible de continuer mon service.

Je ferai grâce au lecteur de toutes les démarches et de tous les ennuis que je dus faire et subir avant d’arriver jusqu’au général ; enfin, après huit jours d’intrigues et de sollicitations, l’on commença à prendre ma demande au sérieux et le général me fit appeler.

— Adjudant, me dit-il, vous sollicitez un congé pour cause d’infirmités et vous produisez un certificat de médecins à l’appui de vos prétentions ; je vous apprendrai que, selon moi, les carabins sont des ignorants, et que je n’ai aucune confiance dans leur moralité, Je ne crois que ce que je vois. Montrez-moi votre mal.

— Mais, général, c’est un rhumatisme !

— Ça ne fait rien ; montrez-moi alors ce rhumatisme,

J’eus toutes les peines du monde à expliquer au général que ce qu’il exigeait de moi était une chose impossible. À tous mes raisonnements, il se contentait de répondre : « Tout ça, c’est des farces ; je ne crois que ce que je vois ! » Ce ne fut qu’en apprenant que j’avais un oncle qui se portait pour être nommé représentant que le général commença à ajouter un peu de foi à ma maladie.

Sur l’assurance que je lui donnai que mon oncle ne pouvait manquer d’être élu, grâce à la très-grande influence dont il jouissait dans le département, le général hocha la tête, et semblant sortir de ses réflexions, me dit en souriant d’un air tout à fait amical :

— Après tout, si les rhumatismes ne peuvent se vérifier, il faut bien que je m’en rapporte au certificat du chirurgien. Tenez, voici un congé de trois mois.

Je pris avec autant d’empressement que de joie le bienheureux billet qui me rendait à la liberté, et je courus retrouver Anselme pour lui annoncer cette bonne nouvelle.

Le lendemain matin, sans plus tarder, je me mis en route.

Inutile d’ajouter que mes adieux avec Anselme furent touchants.

— À revoir, mon ami, me dit-il, n’oublie point que tu as en moi un ami dévoué jusqu’à la mort inclusivement. Mais, qui sait, peut-être nous reverrons-nous plus tôt que tu ne le penses.

Une heure plus tard, je m’enfuyais du camp plutôt que je ne l’abandonnais, tant j’avais peur qu’un contre-ordre me retint sous les drapeaux.


X

Ce ne fut qu’après avoir franchi presqu’en courant une distance d’une lieue au moins, que je m’arrêtai pour reprendre haleine.

Un bruit, dont je ne pouvais me rendre compte, bruit entremêlé de chansons hurlées par des voix désagréables, et que j’entendis à quelques pas de moi, venant de derrière un massif d’arbres, attira bientôt mon attention et mes pas.

Je trouvai une dizaine de vivandières qui lavaient dans un ruisseau les vêtements ensanglantés des soldats tués dans le dernier combat. Cette vue me fit oublier ma fatigue, et je repris ma course avec une énergie et une vitesse nouvelles.

À quatre heures de l’après-midi, j’atteignis le petit village de Messino, et je m’empressai d’entrer dans une mauvaise auberge, — la seule de l’endroit, — qui me parut, en comparaison du camp que je venais de quitter, une somptueuse demeure.

En sortant de Messino, je traversai plusieurs villages dont les habitants, Piémontais il y avait un an à peine, étaient devenus, par le sort des armes, des citoyens français.

J’en rencontrai plusieurs qui se rendaient au marché pour vendre leurs légumes et leurs fruits ! en m’apercevant, ils s’empressèrent de crier à tue-tête : « Viva la republica ! viva l’égalita ! »

— Où allez-vous comme cela ? leur demandai-je.

— Nous allons au vicariat de Sospello ! me répondit l’un d’eux qui comprenait le français.