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se trouvait sa maîtresse exigeait sa présence auprès d’elle.

Je restai dans le salon.

Je ne puis exprimer à quel point ma curiosité était excitée par tous ces événements aussi surprenants qu’inattendus, dont je venais d’être le témoin, et par les folles suppositions auxquelles se livra mon imagination montée outre mesure pendant la demi-heure que je demeurai seul avant l’arrivée du médecin.

À peine l’Esculape du bourg eut-il jété les yeux sur la malade, que se retournant vers nous !

— Cette femme vient d’être frappée par une attaque terrible de paralysie, nous dit-il à voix basse ; je doute qu’elle puisse jamais recouvrer la parole : au reste, ses maux seront de courte durée, car elle n’a pas plus d’un mois à vivre !

— Pauvre femme ! s’écria Anselme d’un air de profonde pitié : elle nous a si bien hébergés ce soir !

Après cette exclamation hypocrite, démentie si énergiquement par sa conduite de la soirée, mon camarade prit un flambeau, et me souhaitant une bonne nuit :

— À revoir, mon cher Alexis ! me dit-il en me tendant la main, n’oublie point que nous partons demain de bonne heure.

— Où vas-tu comme cela, Anselme ?

— Mais je vais regagner mon lit.

— Et le revenant ! Il ne l’effraie donc plus ?

— Silence ! le médecin pourrait t’entendre.

Après m’avoir dit ces mots à voix basse, Anselme s’éloigna précipitamment, afin de couper court, sans doute, à toute conversation.

N’ayant rien qui me retint dans le salon, j’imitai l’exemple que me donnait mon camarade : je fus me coucher.

Le reste de la nuit 86 passa sans qu’aucun nouvel incident vînt troubler mon repos : seulement j’avais l’esprit tellement frappé de tous les événements qui s’étaient passés dans La soirée, que je ne pus fermer les yeux jusqu’au lendemain.

Il faisait à peine jour quand on frappa doucement à ma porte ; c’était Anselme qui venait m’avertir qu’il était temps de partir.

— Nous remettrons-nous donc en route sans manger un morceau, Anselme ?

— Oui, oui, partons, me répondit-il sans être séduit par cette idée d’un déjeuner, qui, en toute autre circonstance, n’eût pas manqué d’éveiller sa sympathie.

En entrant dans la cour, nous trouvâmes la domestique qui nous attendait pour nous souhaiter un bon voyage et nous accompagner jusqu’à la porte de la rue.

— Ah ! monsieur, ; dit-elle à Anselme lorsque nous fûmes sur le seuil de la porte, croyez que jamais ceux que vous avez si généreusement obligés n’oublieront la reconnaissance qu’ils vous doivent !… Sans vous nous étions perdus !… Puisse la pensée de cette intéressante famille que vous avez arrachée à la misère, vous suivre partout !

— C’est bien, ma brave femme, dit Anselme. Voici assez de paroles pour si peu de chose : ce que j’ai fait, tout autre l’eût fait également à ma place. Portez-vous bien ; que le diable torde au plus tôt le col à votre coquine de maîtresse ; et adieu !

Anselme, serrant vigoureusement les mains de Babet dans la sienne, se disposait à s’éloigner lorsque la vieille domestique le retenant :

— Voici une paire de souliers que vous avez oubliée dans votre chambre, lui dit-elle, et que M. Édouard m’a chargée de vous remettre… Adieu, mon cher et bon monsieur ! Que le Seigneur soit avec vous !

La vieille femme, après ces mots, referma vivement la porte sur elle, en nous laissant dans la rue.

— Ah çà ! mais, il y a erreur, s’écria Anselme, qui, retournant dans ses mains le paquet que Babet venait de lui remettre, paraissait fort étonné. Il m’eût été d’autant plus difficile d’oublier une paire de chaussures, que je ne possède malheureusement pour toute fortune que ces vieilles savates qui sont censées protéger mes pieds. Ah ! parbleu, je devine, ce jeune Édouard aura, sans doute, remarqué combien ma toilette laissait à désirer à sa base, et il m’envoie, pour me prouver sa reconnaissance, une paire de ses bottes. Tiens c’est une excellente idée qu’il a eue là. Au fait, je lui ai rendu un assez grand service pour que je puisse accepter ce cadeau, que je n’ai nullement sollicité. Voyons un peu.

Anselme dénoua alors le mouchoir qui contenait la paire de bottes, et poussant tout à coup un cri de surprise :

— Ah ! sapristi, s’écria-t-il, voilà qui arrive encore bien plus à propos !

— Quoi donc, Anselme ? qu’y a-t-il ?

— Il y a, cher ami, que les bottes de M. Édouard ressemblent furieusement aux confitures de l’huissier de Montélimar… Je dirai même qu’elles leur sont supérieures… Regarde…

Anselme, en prononçant ces paroles, me montra un long rouleau d’or.

— Cent louis, s’écria-t-il après l’avoir défait, c’est fort bien ! Au fait, ma conduite mérite cela.

Tout en causant, nous avions continué de marcher d’un bon pas, et nous nous trouvions alors hors de Fayence.

— Voyons, Anselme, lui dis-je, il s’agit à présent de me raconter avec cette franchise que nous avons conservée jusqu’à présent dans nos rapports, ce qu’il y a eu de vrai dans ton histoire de revenant, et de m’expliquer la cause de cette dureté que tu as montrée envers notre hôtesse, et qui a eu un si triste résultat. Le rôle joué par Babet dans tout ce mystère, m’intrigue également beaucoup. Quant à ce M. Édouard, avec qui tu sembles avoir fait connaissance cette nuit, je ne serais pas fâché non plus de le connaître.

— Oui, à présent que nous sommes hors de la ville, et que je n’ai plus à craindre une indiscrétion involontaire de ta part, je puis en effet parler à cœur ouvert. Je t’avertis que mon récit dépassera ton attente.

— Et expliquera-t-il clairement le mystère de l’apparition du défunt ?

— Pardieu ! est-ce que la vérité n’explique pas tout ? Ne crains rien ; tu n’auras plus, après m’avoir entendu, aucune explication à me demander.

— En ce cas, je t’écoute !

— Je commence mon récit ; me dit Anselme, à partir du moment où tu me laissas seul dans ma chambre. Ma première action fut de visiter avec le plus grand soin l’appartement, je sondai les murs avec la baïonnette de mon fusil ; et satisfait de mon examen, car partout mon arme ne rencontra que des pierres de taille ; et nulle part mon regard n’aperçut l’apparence d’une issue secrète, je me couchai.

Ma bougie allumée et mes bouteilles de vin placées sur un guéridon, je me mis à lire le livre que j’avais emporté.

C’était un de ces romans de chevalerie où l’on voit des amours fabuleux de constance, qui durent quarante aunées suivies et finissent par le mariage de deux sexagénaires.

Comme je suis fort sentimental de ma nature, je me laissai bientôt gagner à un tel point par le charme de cette lecture, que j’oubliai complétement et l’endroit où j’étais et le spectre dont je devais recevoir la visite.

J’en étais arrivé à l’endroit le plus vif de l’intrigue, c’est-à-dire au moment où le chevaliers emporté par l’excès de sa passion et oubliant tout sentiment de convenance, embras-