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Ce ne fut pas toutefois sans pleurer comme un enfant, que cet home, doué d’un vrai courage et d’une nature fortement trempée, se sépara du cousin de mon hôte.

Nous ne quittâmes, Gérard et moi, l’ancien château des Templiers, que lorsque le jour fut assez avancé, afin de n’entrer à Grasse qu’une fois la nuit tombée.

L’excellent Verdier nous reçut à bras ouverts, et loua beaucoup Gérard du parti qu’il prenait.

Le lendemain malin, je fus trouver mon commandant, et lui présentai l’ex-maréchal-des-logis comme une excellente acquisition à faire pour le bataillon.

Inutile d’ajouter que cet officier supérieur accepta avec empressement cette offre.

Il régnait alors une telle ignorance militaire dans l’armée, qu’un homme qui avait servi sous l’ancien régime, et qui par conséquent connaissait son état, était sûr d’être admirablement accueilli par les chefs de corps.

Le soir même, Gérard, accoutré tant bien que mal d’un semblant d’uniforme que je lui procurai, se promenait librement et sans avoir rien à craindre dans cette même ville de Grasse, où, sil eût été pris la veille, on l’eût guillotiné.

Une semaine plus tard, nous reçûmes enfin les effets d’équipement et de campement dont nous avions si grand besoin ; puis, presque au même instant, les représentants du peuple envoyèrent l’ordre à notre bataillon de se diriger vers le camp de Saorgio.

Cette nouvelle ne me déplut pas ; car, depuis la mort de sœur Agathe, le séjour de la ville de Grasse me pesait singulièrement ; et puis, l’avouerai-je, je n’étais pas fâché de subir le baptême de feu et de gagner ainsi le droit de porter mon épaulette.

Une seule crainte troublait ma joie, j’avais peur d’avoir peur.

Toutefois, je me rassurai en pensant que les soldats sont des hommes tout comme les autres ; que, par conséquent, la plupart des recrues du bataillon devaient se trouver dans ma Position, et que, comme il n’était pas probable qu’ils lâchassent pied devant l’ennemi, il était à croire que je ferais tout aussi bonne contenance qu’eux.

Le bataillon devait partir le lendemain matin, et j’étais occupé à causer avec mon hôte, lorsque Anselme vint me voir.

— Ah ! te voilà, déserteur ! m’écriai-je en l’apercevant, tu me négliges beaucoup depuis quelque temps ! Es-tu devenu amoureux ?

— Amoureux ! répéta Anselme en haussant les épaules d’un air de souverain mépris, j’ai bien le loisir de m’occuper de semblables misères ! Non, mon ami, je ne suis pas amoureux, mais je voudrais bien être malade.

— Voilà un drôle de désir ! À quoi cela l’avancera-t-il donc ?

— Mais à obtenir un congé, ou bien même à me faire réformer !

— Le service te pèse-t-il au point que tu sacrifierais ta santé pour t’y soustraire ?

— Le service militaire, à proprement parler, est assez de mon goût ; on accroche par-ci par-là, quand on est en campagne, d’assez bons morceaux, et les coups de fusil n’ont rien qui puisse effrayer un homme à qui sa conscience ne reproche rien. Ce qui me fait désirer si vivement recouvrer ma liberté, c’est la honte que j’éprouve en songeant quels sont les gens pour qui je combats et pour qui je sers…

— Nous servons la France, Anselme !

— Ah ! tu appelles, toi, servir la France, entourer et protéger un échafaud sur lequel va mourir une innocente vierge-martyre ! Moi, il me semble que cela est se rendre complice des abominables coquins qui nous gouvernent aujourd’hui. Aussi, depuis l’exécution de sœur Agathe, n’ai-je pas goûté un seul instant de véritable repos ! Il me semble que j’ai fait partie de ses assassins !…

— Quelle folie ! Anselme. Enfin que veux-tu devenir ? quelle profession comptes-tu embrasser ?

— Moi, cher ami ! Je compte rester ce que je suis, c’est-à-dire un soldat qui sait manier proprement son fusil et qui ne recule pas devant la besogne. Seulement, je voudrais bien