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— Je vous remercie de cette marque de sympathie, ma bonne dame, répondit Agathe avec un accent qui parlait du cœur ; seulement, croyez-moi, il ne faut jamais maudire.

En ce moment, l’exécuteur en chef des hautes-œuvres, qui s’était absenté, revint, et s’adressant à ses aides :

— Allons, dépêchez-vous, leur dit-il, le temps se passe et vous savez que les condamnés doivent être exécutés pour trois heures !

— Ah ! mon Dieu ! merci ! s’écria alors sœur Agathe avec un tel élan que tous les assistants restèrent frappés d’étonnement ; merci, mon Dieu, de l’insigne faveur que vous m’accordez ! Je mourrai donc à cette même heure où vous avez été attaché à la croix !…

Le bourreau, en entendant ces mots, haussa les épaules d’un air de mépris, puis, jetant un regard sur la toilette des deux condamnés :

— Partons, dit-il tout en secouant tranquillement sur l’ongle de son pouce la cendre de sa pipe.

Agathe Lautier avait, depuis sa condamnation, manifesté à plusieurs reprises le désir d’être assistée, à sa dernière heure, par un confesseur.

Au moment où le signal du départ venait d’être donné, un employé de la prison accourut l’avertir qu’un prêtre se présentait pour l’accompagner jusqu’à l’échafaud.

À cette nouvelle, le visage de la pauvre enfant resplendit d’une expression de joie céleste.

— Mais je dois t’avertir, citoyenne, continua l’employé, que ce prêtre est un assermenté. Peut-être bien, toi qui es une aristocrate, ne voudras-tu pas l’accepter ?…

— Je ne suis ni une aristocrate, ni une citoyenne, répondit doucement Agathe ; je suis une chrétienne qui met toute sa confiance en Dieu et qui croit fermement à un autre monde ! J’ai donné asile à un ennemi de la République, parce que cet ennemi était poursuivi et menacé de mourir sur l’échafaud ; mais j’eusse de même accordé un refuge à un républicain en danger !.. Peu m’importe donc que ce prêtre assermenté reconnaisse ou renie telle ou telle institution humaine. Pour moi, il ne représente qu’un ministre de Dieu, et sa présence comble mon cœur de joie.

— Ta réponse est celle d’une honnête fille ; dit l’employé avec émotion ; allons, bon courage !

L’exécuteur des hautes-œuvres, que cette conversation paraissait impatienter, et qui, les yeux fixés sur une grosse montre en argent qu’il venait de retirer de son gousset, donnait des signes non équivoques de sa mauvaise humeur, se tournant une seconde fois vers ses aides, leur réitéra l’ordre du départ.

Agathe Lautier se leva aussitôt d’elle-même, et se dirigea vers la porte de sortie d’un pas calme et assuré.

Il n’en fut pas de même de l’avocat marseillais.

Quoique les bras et les mains de ce dernier fussent solidement attachés derrière son dos, il trouva moyen de se cramponner aux barreaux de l’espèce de fauteuil sur lequel il était assis, et, d’une voix que la peur rendait rauque et presque inintelligible :

— Je suis innocent ! Il y a eu erreur ! Que l’on aille me chercher le commissaire du pouvoir exécutif ! Vive la Montagne ! À bas Brissot ! À bas Danton ! Vive Robespierre ! Vive Saint-Just ! s’écriait-il en se blottissant dans son fauteuil.

— Allons, enfants, dit brusquement l’exécuteur en s’adressant à ses valets, empoignez-moi ce braillard et portez-le sur vos épaules.

Les valets se précipitèrent sur Lavaux pour exécuter l’ordre de leur maître, mais le premier qui mit la main sur l’avocat marseillais poussa un hurlement de douleur et se rejeta vivement en arrière : le condamné l’avait mordu à toutes dents à l’épaule.

— Ah ! misérable, s’écria le bourreau, c’est ainsi que tu traites mes hommes !… attends ! Et de sa main osseuse il le frappa violemment au visage.

Lavaux poussa alors un son rauque, inarticulé, un cri qui m’avait rien d’humain, et tenait le milieu entre le rugissement du tigre et le cri du fou ; puis, les yeux sortis à moitié de leurs orbites, et grinçant es dents, il parut attendre