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enfants de bonne heure, mais on leur donne encore à manger !… et, moi, je meurs de faim !

Pinçon prononça ces derniers mots d’une voix lamentable, et, frappant avec son poing le creux de son estomac qui rendit un son semblable à celui du tambour, il reprit :

— Je demande, puisque l’on me refuse de me laisser m’expliquer, le renouvellement du comité.

À cette motion, pleine de perfidie, car elle éveillait bien des ambitions et bien des colères, ce fut un vacarme épouvantable dans le club.

— Oui, le renouvellement du comité, criaient cent voix furieuses ; le renouvellement du comité !

Enfin, après dix minutes d’orage, le président parvint non sans peine à obtenir un moment de silence ; un membre du comité attaqué s’empressa de se lever, et après avoir demandé la parole :

— Citoyens honnêtes qui m’entendez, dit-il, d’une voix doucereuse, l’enfant pendu à la mamelle de sa tendre mère, le rayon du jour qui tombe du ciel sur la statue de la Liberté ne sont pas plus purs que nos cœurs, plus purs que nos mains !

Je le vois, chers citoyens, les amis des ennemis du peuple s’agitent pour arracher de nos mains les fils des conspirations que nous avons découvertes ; mais, grâce à notre énergie et à votre puissant secours, nous conduirons les conspirateurs à l’échafaud, et, avec leur sang, nous écrirons leurs crimes sur le front de leurs protecteurs.

Patriotes ! ne vous laissez pas influencer, repoussez tous les soupçons, ne vous déshonorez pas en nous déshonorant ! Vous nous avez, jusqu’à ce jour, républicains, donné votre confiance, vous ne nous la retirerez pas, car vous êtes justes, et nous la méritons toujours !

Un des membres de la société se leva aussitôt, et d’un ton indigné :

— Citoyens, s’écria-t-il, il y a vingt ans que je connais l’homme qui vient de parler ; la révolution n’a pu le changer, il est resté le même.

Ne vous souvient-il plus qu’étant sacristain de la Confrérie des Pénitents, il fut accusé d’avoir volé ici, à cette même place où il siége aujourd’hui comme un de nos élus, il fut accusé, dis-je, d’avoir volé et mangé le contenu du tronc affecté aux âmes du purgatoire et aux réparations de la chapelle.

Il se défendit alors avec ces mêmes phrases platement humbles, avec ces mêmes manières doucereuses, et avec ces mêmes paroles confites au sucre et au miel qu’il vient encore d’employer tout à l’heure.

Va, crois-moi, pauvre sacristain, retire-toi ! va faire pénitence pour les péchés que tu as commis sous l’ancien et le nouveau régime ! Je vote pour le renouvellement du comité.

Un autre membre de la société se lève alors et, prenant aussitôt la parole :

— Citoyens, je vote comme le préopinant le renouvellement du comité, mais je dénonce personnellement le citoyen Lancette !… Cet homme, et je lui fais cent fois plus d’honneur qu’il n’en mérite en le traitant d’homme, car il ne vaut pas même un chien, cet homme est la plus grande canaille, le plus fieffé voleur, le plus affreux hypocrite, l’être le plus vil et le plus abominable que jamais la terre ait porté !… Je regrette d’être forcé d’émettre sur son compte de pareilles insinuations, mais mon indignation l’emporte sur ma politesse, et je ne puis me contenir.

Lancette se levant vivement : Citoyens, l’indignation m’empêche de répondre ! Je méprise ces insinuations !

— Ah ! tu me méprises, canaille ! tu verras au sortir de la séance.

— Tout de suite, si ça te fait plaisir ! s’écria le nommé Lancette en se levant. Ses collègues le retinrent.

Ce petit épisode n’avait fait qu’augmenter le désordre et le bruit ; il fallut que le président, après avoir abandonné le fauteuil au vice-président, vînt lui-même s’expliquer comme simple orateur, pour calmer cette bourrasque.

— Eh bien, me dit Verdier à voix basse, que pensez-vous de la fougue de nos patriotes du crû ? J’espère qu’ils s’occupent joliment des affaires du pays !…

— Le président ne me semble guère à son aise…