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— Comment, désarmé ! Quelle histoire me contez-vous là ? Êtes-vous donc tombé entre les mains d’une bande d’Autrichiens égarés sur le sol français !

— D’une bande d’Autrichiens pas précisément, mais entre les mains de deux voleurs de grande route.

Verdier comprit bien vite, à mon air sérieux, que je ne plaisantais que du bout des lèvres, et que ce que je disais était vrai : l’étonnement que lui causa cette découverte fut si réel qu’il suffit pour dissiper un léger soupçon que je conservais sur lui.

— Racontez-moi donc vos aventures, reprit-il avec un air d’intérêt véritable.

— J’y consens d’autant plus volontiers que l’un de mes deux voleurs, si je ne me trompe, est, — passez-moi le mot, — un de vos amis… où du moins s’il ne l’est pas, il faut qu’il vous ait en singulière estime, car, en m’entendant prononcer votre nom, il a pris ma défense contre son compagnon avec un feu et un zèle dont je ne puis lui être trop reconnaissant. Après tout, je dois avouer que votre ami avait été, dès le début de mon arrestation, beaucoup plus convenable que son camarade.

Verdier, que je regardais tout en lui parlant, me parut si embarrassé, si confus, ses joues se couvrirent d’une rougeur si subite que je ne pus m’empêcher de remarquer ce changement.

— Mon ami, me dit-il après un moment de silence assez embarrassant pour nous deux, je ne vous dissimulerai pas que l’un des deux hommes qui vous ont arrêté est, si je ne me trompe, l’un des meilleurs amis que je possède ! Soyez assez bon, je vous en conjure, pour ne parler à personne de votre aventure ; — aventure qui, Soit dit en passant, ne vous fait pas honneur, car un militaire qui se laisse désarmer, que ce soit par surprise ou autrement, n’en reste pas moins ridicule ; — une indiscrétion de votre part pourrait occasionner un irréparable malheur, et plonger toute une honnête famille dans un profond désespoir ! Puis-je compter sur votre silence !

— Si vous me jurez, sur votre honneur, Verdier, que ces hommes masqués ne sont ni des voleurs ni des assassins, alors je me tairai.

— Oh ! quant à cela, je vous le jure : le plus âgé des deux, que je crois aussi connaître, ne pratique peut-être pas une morale bien évangélique, et sa conduite, sous le rapport de la justice, laisse peut-être aussi beaucoup à désirer… Mais quant à être un voleur de grande route, jamais une pareille idée ne s’est présentée à son esprit : on pourrait lui confier un million sans crainte.

— Et son camarade, ou son compagnon ?

— Celui-là, c’est toute autre chose. Figurez-vous la bravoure, l’honneur, la loyauté en personne ! une âme de héros avec la sensibilité d’un enfant.

— Savez-vous que vous m’intriguez énormément !…

— J’espère d’ici à peu pouvoir vous donner la clef de cette énigme. À présent, c’est un secret qui ne m’appartient pas.

Le surlendemain du jour où nous eûmes cette conversation, Verdier me proposa de l’accompagner à un bourg nommé la Tourette, situé à deux lieues de la ville de Grasse, et où demeurait sa famille.

Il s’agissait d’assister à la noce d’une des cousines de mon hôte qui épousait un libraire.

N’ayant rien qui me retînt, car grâce au manque absolu de discipline qui régnait alors dans mon bataillon, à moitié, pour ne pas dire tout à fait désorganisé, mes fonctions d’adjudant se réduisaient à peu près au port de mon uniforme, j’acceptai l’offre de mon nouvel ami.


II

La maison devant laquelle nous nous arrêtâmes en arrivant à la Tourette était, sans contredit, celle qui paraissait, à en juger par l’apparence, la plus riche du bourg.

Des sons de violon et des éclats de rire qui arrivèrent jusqu’à nous, lorsque nous frappâmes à la porte, me surprirent d’autant plus agréablement que j’étais depuis longtemps, c’est-à-dire depuis la révolution, déshabitué à la gaieté.