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clef, ôta ensuite vivement la clef et la mit dans la poche de sa veste.

— Que demandez-vous, señor ? dit miss Mary, plus irritée qu’effrayée de l’action du Mexicain.

— Je demande, señorita, à avoir l’honneur de vous présenter mes très-humbles hommages.

L’Américaine eut un regard d’un superbe mépris.

— Vos hommages ! répéta-t-elle. Je suppose que vous voulez plaisanter… et je trouve cette plaisanterie très-déplacée. Sortez, señor.

Panocha, au lieu d’obéir à cette injonction, accompagnée d’un geste impérieux, se mit à se balancer avec une grâce infinie.

— Ne craignez-vous point, señorita, dit-il, que vos rigueurs ne me poussent au désespoir ? Bon ! voici vos beaux yeux qui brillent de colère !… Caramba ! je sais bien que je ne suis pas comte, mais du moins suis-je un hidalgo… Un hidalgo peut prétendre au cœur d’une reine. Or, si Grandjean ne m’a pas trompé, vous n’êtes que la fille d’un négociant !… Allons, allons, ne vous fâchez pas ; d’abord cela nuit à votre beauté, ensuite ça ne vous avancerait à rien du tout. L’homme aux ours gris, votre ami, le marquis de Hallay, est fort loin d’ici ; le seigneur comte et votre ancien serviteur le Canadien sont partis ; les pions sont aux champs, nous sommes, vous et moi, tous les deux seuls au rancho.

Cet exorde avait à la fois quelque chose de grossier et de menaçant qui aurait effrayé bien des femmes ; mais l’Américaine ne se troubla pas.

— Au fait, interrompit-elle froidement, que voulez-vous de moi ? Expliquez-vous le plus clairement et le plus brièvement possible. J’ai hâte d’être débarrassée de votre inconvenante présence ! C’est de l’argent que vous souhaitez, n’est-ce pas ? Eh bien, soit, dites votre chiffre ! s’il est raisonnable, je verrai…

Panocha se livra à une petite pantomime fort gentille, et qui pouvait se traduire par : « Mon Dieu ! comme on me juge mal. » Puis, élevant la voix :

— Réellement, señorita, dit-il, je n’ai pas de chance avec vous ! La première fois que j’ai eu le bonheur de vous voir, vous m’avez pris pour un danseur de corde, et aujourd’hui vous me qualifiez de voleur !… Deux étranges méprises !… Ce que je veux, señorita, ce n’est pas de l’argent, c’est de la vengeance…

— De la vengeance ! et quel mal vous ai-je fait ? En quoi avez-vous jamais eu à vous plaindre de moi ?

— Oh ! quelle plaisante question ! s’écria Panocha, dont la pantomime devint extravagante, Quoi ! ma bonne et excellente maîtresse, la seule femme que j’aie jamais sérieusement aimée, est enlevée par vos ordres et livrée à un bandit !… mon ami, le comte d’Ambron, est à moitié tué… moi je suis plongé dans le désespoir… et vous osez me demander quels sont mes griefs contre vous ! Franchement, c’est de l’impudence.

Panocha fit une pause : sa pantomime avait cessé ; mais, en revanche, une expression horrible, et qui tenait le milieu entre un effrayant cynisme et une atroce férocité, donnait à ses petits yeux l’éclat de ceux de la vipère ! L’Américaine sentit s’évanouir son assurance ; elle commença à avoir véritablement peur.

— Épargnez-moi ces insultes aussi lâches qu’elles sont inutiles, dit-elle en affectant une fermeté qu’elle n’avait plus… Où voulez-vous en venir ?…

— Je vous le répète, à venger la señora comtesse.

— Soit ! Eh bien, quelle doit être cette vengeance ?

Le Mexicain sortit un couteau, une lame longue, droite et effilée, du fond de la poche de sa calzonera, et faisant luire le brillant acier par un geste expressif et rapide :

— La vengeance d’un hidalgo, c’est la mort…

L’Américaine eut la force de sourire d’un air moqueur.

— Les hidalgos, quand ils sont pauvres et qu’ils ont un rang à soutenir, préfèrent l’or au sang, dit-elle. Mon père est riche, et il m’a donné les pleins pouvoirs pour tirer sur lui. Voulez-vous une traite de mille piastres ?

Don Andrès fut quelque temps à répondre.

— Ni mille, ni dix mille, ni cent mille piastres ! s’écria-t-il… Cessez, miss Mary, des offres inutiles et qui ne peuvent que blesser ma susceptibilité. Non… tout l’or du monde ne saurait vous sauver !…

L’Américaine était devenue extrêmement pâle.

— Puisque votre intention est si bien arrêtée, si irrévocable, puisqu’il ne me reste auucune chance de salut, à quoi bon prolonger inutilement mon agonie ? dit-elle. Frappez et soyez maudit !…

— Ah ! permettez, señorita doña Maria, je n’ai point prétendu qu’il ne vous restât aucune chance de salut… au contraire… il en est une… mais une seule…

— Laquelle ?

Le Mexicain regarda longuement, fixement, l’infortunée jeune fille ; puis d’une voix singulièrement accentuée :

— Un caballero, un hidalgo et je suis l’un et l’autre, ne frappera jamais la femme qui l’aura aimé, dit-il.

La pâleur de l’Américaine fit place à une vive rougeur, et avec une indignation profonde :

— Misérable ! dit-elle.

Il y avait un tel mépris dans cette exclamation, que ce fut au tour de Panocha de pâlir.

— Prenez garde, doña Maria, reprit-il d’une voix sourde, prenez garde !… peut-être bien vous figurez-vous que je plaisante… Vous auriez tort… Je vous jure sur ma part de paradis que ce que j’ai dit je le ferai !…

— Je vous crois, misérable !

Caramba ! je dois l’avouer, vous êtes une vaillante señorita ; mais votre indignation ne vous rend que plus séduisante. Doña Maria, il est deux heures… à deux heures cinq minutes, ou vous aurez cessé de vivre, ou vous ne serez plus dangereuse pour le repos de ma bonne maîtresse, car vous n’oserez plus reparaître jamais devant le seigneur comte.

Panocha mit par terre la montre qu’il tenait de la générosité de M. d’Ambron, et, le dos appuyé contre la porte, son couteau à la main et les yeux fixés sur l’infortunée miss Mary, il attendit sa décision. Ce fut un terrible silence.

— Deux heures cinq minutes, dit-il en s’avançant d’un pas vers sa victime.

L’infortunée abaissa ses paupières, croisa fortement ses bras sur sa poitrine, et d’une voix qui vibrait plutôt de passion qu’elle ne tremblait d’effroi :

— Luis, dit-elle, je t’aime !

Panocha frappa !…