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Les paroles du Canadien produisirent une pénible impression sur M. d’Ambron.

Le comte, après avoir dit ces mots avec une froide énergie, tourna sa tête du côté opposé à celui où se tenait l’Américaine et resta dans une complète immobilité.

Après une courte et suprême hésitation, la jeune fille se releva, et d’une voix basse, quoique profondément accentuée :

— Au revoir, comte, dit-elle.

Alors, la tête haute et fière, la contenance assurée, elle passa lentement devant Grandjean et Panocha ; toutefois, et quel que fût l’empire qu’elle exerçait sur elle-même, elle chancela un moment, comme si elle était prise de vertige, et n’arriva que difficilement à la porte de sortie. À peine fut-elle au grand air qu’elle éclata en sanglots.

Longtemps, bien longtemps l’Américaine resta debout devant le rancho.

— Oh ! il m’aimera… dit-elle enfin avec un froid emportement, s’il est permis de parler ainsi, il m’aimera… ou je mourrai… mais je ne reculerai pas !

Pendant les trois jours qui suivirent, miss Mary, retirée dans une chambre de la maison, n’en sortit pas une seule fois, du moins tant que le soleil éclairait la nature ; la nuit venue, elle descendait furtivement et restait jusqu’au lendemain son front appuyé contre les barreaux de la fenêtre de la chambre où reposait le blessé.

Le troisième jour, le comte d’Ambron monta, ou, pour être plus exact, se fit hisser à cheval ; et, quoique sa faiblesse fût encore excessive, il partit, accompagné de Grandjean, pour aller rejoindre Joaquin Dick.

— Ne nous accompagnes-tu pas, Panocha ? demanda le géant au Mexicain qui lui offrait, pour le coup de l’étrier, un énorme verre rempli jusqu’aux bords de mescal.

— Non, merci, pas maintenant…

Le comte et le Canadien n’étaient pas à cinq cents pas du rancho, quand Panocha, cessant de les suivre du regard, s’élança vers l’escalier qui conduisait au premier étage de la ferme, et, en gravissant les degrés avec une agilité de jaguar, s’en alla frapper à la porte de la chambre de miss Mary.

— Oh ! ne vous dérangez pas, señorita, dit-il en entendant la voix de la jeune fille. Entre gens qui se connaissent, les cérémonies sont superflues.

Alors, sans attendre la réponse ou le consentement de l’Américaine, don Andrès referma derrière lui la porte à