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cha, qu’il oublia de se livrer à ses pantomimes habituelles ; il fut simple et naturel.

— Infortunée doña Antonia ! murmura-t-il d’un air accablé en laissant tomber sa tête sur sa poitrine, et des larmes, de véritables larmes, roulèrent sur ses joues de couleur safran… Ce n’est pas étonnant s’il lui est arrivé malheur, reprit-il, je n’étais pas là pour la défendre…

Après avoir donné un libre cours à sa douleur, Panocha songea enfin à M. d’Ambron.

— Tiens ! dit-il, mais le seigneur comte n’est peut-être pas mort ! Qui sait s’il n’y aurait pas moyen de le sauver ?

L’hidalgo s’agenouilla auprès de M. d’Ambron, et, appuyant son oreille sur la poitrine du jeune homme, il écouta avec une extrême attention.

— Dieu soit loué ! s’écria-t-il tout à coup, le seigneur comte respire !

Cette annonce fut accueillie avec un vif plaisir par les serviteurs, qui redoublèrent d’ardeur dans la confection de leur croix ; ils se mirent à la sculpter.

Panocha avait commencé à déshabiller l’infortuné jeune homme, lorsqu’il s’arrêta soudain. Une idée subite venait de se présenter à son esprit.

— Holà ! vous autres, dit-il aux pions, débarrassez sa seigneurie de ses vêtements, pendant que je vais aller, moi, chercher une herbe que je connais et qui est souveraine contre les blessures.

Panocha, sans attendre une réponse, sortit précipitamment du salon ; mais au lieu de se rendre, soit au jardin, soit dans les champs, il gravit rapidement le premier étage de la ferme, et entra dans la chambre habitée le matin encore par les jeunes et heureux époux. L’hidalgo traversa cette chambre d’un bond, et, se précipitant sur la porte qui fermait le retiro, il se mit à étudier la serrure avec un soin infini.

— Je ne comprends pas comment ces idiots d’Apaches n’ont pu parvenir jadis à ouvrir cette porte, dit-il. C’est tout ce qu’il y a de plus aisé !… Après cela, les Apaches, qui sont nomades et qui n’habitent que des wigwams, ne doivent pas se connaître en serrures… Ce n’est pas comme moi qui… qui ai demeuré dans les villes et reçu de l’éducation.

Panocha tira son couteau de sa gaîne, puis, d’une des poches de sa calzonera, une espèce de passe-partout informe et dont un filou d’Europe se serait, certes, outrageusement moqué, et sans plus tarder, il se mit à la besogne.

Il n’y a pas de proverbe plus vrai que celui qui prétend « qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. » Depuis près d’une heure que le Mexicain s’acharnait à son travail, il n’avait réussi qu’à casser son couteau et à tordre son passe-partout.

De temps à autre, il s’arrêtait pour essuyer ses larmes, car, quelque attention qu’il accordât à sa tâche, sa pensée se reportait sans cesse sur Antonia.

— Pauvre maîtresse, se disait-il, que va-t-elle devenir ? Elle en mourra !… Bon ! voilà mon couteau qui s’ébrèche… Je ne saurais plus être heureux sans elle ; désormais, la vie me sera à charge… J’avais tort de mépriser les Apaches, cette serrure est d’une solidité à toute épreuve… Sans ces maudits étrangers qui sont venus à la Ventana, Antonia aurait fini par m’épouser. Elle n’a jamais osé m’avouer qu’elle m’aimait, mais cela se voyait. Que diable vais-je trouver dans ce retiro ? Je tremble qu’il n’y ait rien du tout… Bon ! encore mon couteau qui se casse… Si cependant j’allais mettre la main sur des millions !… Ah ! quel bonheur !… Non, non, jamais je ne me consolerai de la perte d’Antonia.

Panocha fit trêve à ses sanglots pour pousser un cri de joie ; une épaisse couche de peinture qui couvrait la porte venait, en éclatant, de découvrir la tête plate et polie d’une grosse vis qui assujettissait la serrure.

Cinq minutes plus tard, la serrure tombait, et le Mexicain, pâle d’émotion, et tremblant à la fois d’espérance et de crainte, donnait un vigoureux coup d’épaule à la porte, qui cédait à cette secousse et s’ouvrait toute grande devant lui.

L’hidalgo, avant de franchir le seuil, eut un moment de recueillement.

— Chère et regrettée Antonia, murmura-t-il, Dieu veuille que vous m’ayez laissé des millions !…

Panocha pénétrait dans le retiro, quand une voix sonore et moqueuse l’arrêta stupéfait, effrayé et tremblant.

Cette voix était celle du Batteur d’Estrade ; elle disait : « Voleur ! »


XII

LE COFFRET.


Joaquin Dick, les bras croisés sur sa poitrine et un sourire moqueur sur les lèvres, se tenait appuyé et immobile contre la porte de la première pièce.

Le Mexicain, c’est une justice à lui rendre, se remit très-promptement de son étonnement et de sa frayeur.

— Ah ! c’est vous, señor Joaquin ? s’écria-t-il en affectant un gracieux empressement, soyez le bienvenu ! Vous pouvez toutefois vous vanter de m’avoir fait d’abord joliment peur !

— Pourquoi d’abord et plus maintenant, aimable et trop affairé Panocha ?

— Parce que j’ai cru que c’était un des pions de la ferme qui, m’ayant surpris dans mon travalt, allait me demander à en partager les profits !…

— Les profits de quoi, Panocha ?… de ton travail ?

— Oui, seigneurie !… Vous ne sauriez vous imaginer le mal que cette porte m’a donné à ouvrir ! Mais vous, vous êtes bien trop riche et surtout bien trop caballero, pour songer un seul instant à dépouiller un pauvre et galant hidalgo d’une petite fortune que lui envoie la Providence, et qui l’aidera à soutenir son rang dans la société !

— Que diable signifie tout ce bavardage, Panocha ? À quoi veux-tu en arriver ?… à me prouver que tu n’es pas un voleur, ou bien à obtenir que je te laisse dévaliser en paix ta maîtresse ? Je suis d’une excessive tolérance pour les passions humaines, c’est vrai ; je n’en veux à personne d’obéir aux instincts particuliers dont la nature l’a pourvu ; cependant tu ne dois pas espérer que je te permettrai de dépouiller Antonia. Allons, sors d’ici, drôle… Remercie la