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BEAUJOLAIS.

Oui, dans une salle d’auberge…

VERT-PANNÉ.

Avec un gros arbre au milieu, et tout ce qu’il faut pour écrire… Non, non… j’ai modifié tout cela.

BEAUJOLAIS.

À la bonne heure. (Lisant.) Les Trabücayres, traqués par la troupe, sont assemblés dans une salle basse de l’auberge et délibèrent. Tromb-al-ca-zar, leur chef…

VERT-PANNÉ.

Toi !

BEAUJOLAIS.

Et Astolfio, son lieutenant…

VERT-PANNÉ.

Moi !

BEAUJOLAIS, continuant.

Sont avec eux.

IGNACE, reparaissant.

Diable ! les autres sont restés là ! (Il se cache derrière la table à gauche.)

BEAUJOLAIS.

Voyons, répétons et allons-y.

VERT-PANNÉ, remontant la scène en se drapant avec une serviette, d’un air tragique et allumant sa pipe.

Entrons carrément dans la peau du bonhomme.

BEAUJOLAIS, inquiet et prenant le ton d’un acteur de drame.

Astolfio, quelle heure est-il ?

VERT-PANNÉ, imitant la cloche en prêtant l’oreille..

Ding, ding, ding… (Il s’arrête au troisième coup.)

BEAUJOLAIS, qui a compté sur ses doigts.

Minuit ! Quoi déjà si tard ? fatalité !…

VERT-PANNÉ, fumant et descendant la scène.

Qu’as-tu donc, Trombonne-cazar ?

BEAUJOLAIS.

Bal !

VERT-PANNÉ.

Trombonne-cazar, tu parais nonchalant et soucieux ! Qu’as-tu ? qu’as-tu ? qu’as-tu ?

BEAUJOLAIS, qui est resté pensif sur le bord de la scène, reçoit une bouffée de tabac de Vert-Panné.

Moi ? rien ! un nuage qui erre dans ma pensée… Réponds-moi, Astolfio…

VERT-PANNÉ.

Parle, Trombonne-cazar.

BEAUJOLAIS.

Bal… (Continuant et s’accoudant sur l’épaule de Vert-Panné.) Astolfio ! crois-tu que cette bicoque soit un asile bien sûr ?

VERT-PANNÉ.

Mais oui…

IGNACE, se dissimulant toujours, à part.

Je l’aime assez, celui-là.

BEAUJOLAIS.

Qui le dit que notre hôte ne nous a pas offert le produit de sa pêche pour mieux nous faire tomber dans ses filets ?

IGNACE, à part.

Je l’aime moins, celui-ci.

VERT-PANNÉ.

Tu erres ! tu erres ! Moi je lui trouve l’air d’un brave homme.

BEAUJOLAIS, avec ironie.

Brrrave homme !… ironie et déception !… Écoute, Astolfio ! de tous les préjugés qui infestent la terre… je n’en avais conservé qu’un : l’horreur du crime et l’amour de la vertu. Enfant que j’étais ! Un jour j’avais dit à l’un des miens : Férocio, de ce pas tu vas te rendre sur le pic neigeux, au sombre château de la Rocca-Oursina… Tu pénétreras dans la galerie des Chevaliers de la mort. Une fois là, tu compteras de l’œil les armures appendues à la muraille ; devant la septième armure, tu trouveras une dalle ivoire que tu distingueras facilement des autres qui sont blanches. Tu frapperas du pied sur cette dalle… (Il frappe sur le pied de Vert-Panné, qui jette un cri perçant en se tenant le pied.) Le cor fera entendre un son sourd et plaintif. L’armure s’animera… un de ses bras de fer se lèvera… au bout de ce bras tu trouveras une main, dans cette main tu trouveras une dague… Cette dague, il te la faut ! Tu la prendras et tu iras frapper droit au cœur, et de cinquante-six coups de poignard, don Ramir de La Goula… (Avec attendrissement.) le premier ami de mon enfance… Férocio obéit, il prit la dague… il frappa don Ramir ; mais le traître, soudoyé par des mains étrangères, ne lui fit avec la sienne que vingt-huit blessures.

VERT-PANNÉ.

Juste la moitié.

BEAUJOLAIS.

Depuis cette époque, Astolfio, je n’ai plus confiance dans les hommes, Et voilà pourquoi je viens te dire aujourd’hui que cet homme, cet aubergiste qui cherche à se dérober à nos regards, cet homme est un espion !…

IGNACE.

Moi, un espion !

VERT-PANNÉ, jetant un cri.

Ô humanité ! quand on fouille dans ton cœur, même avec la pointe d’un poignard, on n’y trouve que fange et félonie ! i i i…

TOUS DEUX, d’une voix chevrotante.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! (Coup de talon.)

VERT-PANNÉ.

Si les baïonnettes ne sont pas contentes, s’ils se plaignent là-bas…

BEAUJOLAIS, ton naturel.

C’est qu’ils seront trop jambonneaux. (Reprenant.) Tu m’as compris ?

VERT-PANNÉ, lui serrant la main.

Je t’ai compris… Un espion, ça parle…

BEAUJOLAIS.

Il ne faut pas qu’il parle… Si nous lui coupions la langue ?

IGNACE.

Oh ! je décampe. (Il cherche à s’esquiver.)

BEAUJOLAIS, remontant la scène.

Astolfio, que l’on garde toutes les portes de cette auberge.

IGNACE, courant à la fenêtre à gauche.

Ah ! cette fenêtre !

BEAUJOLAIS.

Et s’il veut franchir une des fenêtres, plante-lui une balle dans la sienne. (Ignace revient se mettre sous la table.) Mais quel est ce bruit ? Serait-ce le vent qui souffle à travers la montagne ?

VERT-PANNÉ, ton naturel.

Non, non, t’es bête ; tu sais bien que c’est la jeune fille qui vient réclamer contre un infidèle la protection des Trabücayres. (Reprenant.) Non, le vent n’a que des ailes, et j’entends marcher dans le mur.

BEAUJOLAIS, écoutant.

Astolfio, tu as raison. (Trois coups très-forts dans la coulisse.)

VERT-PANNÉ.

Je crois même qu’on a légèrement frappé à l’huis de cette demeure. (Ils arment leurs pistolets. Ignace reste derrière la table.)

BEAUJOLAIS.

Astolfio… homme ou femme, va voir qui heurte. (Vert-Panné va vers la porte, et introduit Gigolette, dont il relève le voile.)

VERT-PANNÉ, frappant dans ses mains.

Ah ! la voili ! qu’elle est jola !

BEAUJOLAIS.

Non : la voilà ! qu’elle est jolie !

VERT-PANNÉ, qui regarde Gigolette.

Maître, je crois que c’est une femme !

BEAUJOLAIS.

Laisse-la pénétrer jusqu’à nous, laisse-la pénétrer.


Scène VIII.

Les Mêmes, GIGOLETTE.

(Pendant la ritournelle, Vert-Panné indique en mimant que Tromb-al-ca-zar est le chef, etc.)

QUATUOR.
GIGOLETTE.
––––Un beau jour, à l’heure où l’aube se lève,
––––En me promenant le regard baissé,
––––J’ai laissé tomber mon cœur sur la grève,
––––Un pâtre est venu qui l’a ramassé.
––––Un cœur, ça n’est pas comme un chien caniche,
––––Des ânons, chevreaux, des moutons perdus,
––––Que l’on tambourine et que l’on affiche ;
––––Il a nos deux cœurs, et je n’en ai plus !
––––Alors, je lui dis : Donnez-moi le vôtre…
––––Il me le donna ; puis il l’a porté,
––––Malgré sa promesse, aux genoux d’une autre.
––––Brigands, je demande une indemnité.
BEAUJOLAIS, VERT-PANNÉ.
––––Alors, tu lui dis ; Donnez-moi le vôtre.
––––Il te le donna ; puis il l’a porté,
––––Malgré sa promesse, aux genoux d’une autre.
––––Brigand, je te dois une indemnité.

(Pendant la ritournelle, les deux brigands se consultent ; la jeune fille remonte la scène, et, la main sur son cœur, exprime son anxiété par une vive pantomime.)

BEAUJOLAIS, faisant signe à Gigolette d’approcher.
–––––––––Pour injures pareilles
–––––––Que nous demandes-tu ?.... u !
GIGOLETTE.
–––––––––Une de ses oreilles
–––––––Pour venger ma vertu… u !