- (ter) Venez, venez, venez, venez
- Petits poissons,
- (ter) Venez, venez, venez, venez
- Mordre à mes hameçons !
- Je guette, je guette une blondinette !
(Les yeux tournés vers la maison aux volets verts.)
- Regardons ! regardons !
- Et pour tromper le barbon,
- Ayons l’air d’un cornichon.
- Oh ! amour, voilà comme…
- Tu te ris d’un grand cœur ;
- Être né pour être homme,
- Et devenir Martin pêcheur !
Ça ne touche guère, je crois que je n’ai pas mis assez de fond. (Apercevant Polissard.) Que vois-je dans la pénombre ? un rival !
Si j’en crois mon pince-nez, c’est un pécheur sérieux… diable ! mauvaise affaire !… mon Octavie, qui ne m’attend pour l’enlever qu’au lever du soleil, quand son tigre sera parti ! (Il se remet à pêcher.) Continuons à avoir l’air d’un imbécile.
Nom d’un goujon !… mais il va troubler le courant de mon onde pure… (Élevant la voix.) Dites donc, eh ! vous, là-bas !
Bonjour, mossieu… ça va bien, ce matin ?
Vous vous êtes donc levé à trois heures ? vous êtes donc somnambule ?
J’aime à voir naître l’aurore.
Je vous préviens que vous êtes sur ma propriété.
Cette île est votre immeuble ?
Non, mais bien ce remou que depuis trois jours j’ai amorcé, j’y ai jeté plus d’un décilitre de blé.
Ah ! vous jetez du blé dans la rivière et vous croyez que ça poussera ?
Du blé cuit, avec des boules de terre glaise et de chènevis, des fèves de marais à l’huile… d’aspic, pour faire venir la carpe.
Merci, homme intelligent… comme ça se trouve… des carpes !… Moi qui en suis à ma première ablette à prendre.
Qu’est-ce que ça vous fait d’aller pêcher plus loin ?
Il paraît qu’il tient à rester ici… Diavolo ! si c’est un voisin du tyran aux volets verts, il verra le signal que doit faire Octavie avec son foulard… Il me vendra au Bartholo… comment le mettre en fuite ?
Tenez, je vas vous dire une chose : là-bas, au bout de l’île, je connais un petit endroit où l’on en prend à tout coup ; des gardons, des vendaises, des ablettes, des goujons… On n’a que le temps de jeter sa ligne et ça biche ; on jette et toc ! ça biche !
Vrai ? eh bien ! je ne veux pas vous en priver… allez-y si ça biche !
Ah ! tu ne veux pas y aller… eh bien ! attends, j’ai une petite scie non patriotique qui ne manque jamais son effet… je m’en vas te la servir… Voyons laquelle… (Il fredonne.)
Air : Toi qui connais les hussards de la garde.
- Toi qui connais la couleur de mes guêtres,
- Tu n’connais pas la couleur de mes bas ;
- Car si tu connaissais la couleur de mes guêtres,
- Tu connaîtrais la couleur de mes bas ;
- Mais tu n’connais pas la couleur…
Non, ça l’amuserait ! ah ! j’en tiens une : La Gronouille au camélia. (Riant.) Servez chaud ! boum !
Qu’est-ce qui vous prend donc ?
Il me prend… une envie de vous chanter quelque chose d’agréable.
Chantez… j’en serai bien aise.
- Dans l’intérieur d’une citrouille
- Vivait un vieux crapaud volant,
- Fort amoureux d’une grenouille
- Qu’avait un très-fort mal de dent.
- Le crapaud dit : Belle verdâtre,
- Voilà un beau camélia ;
- Mais la grenouille au gros folâtre,
- (Il fait un pied de nez.) Chante en faisant ce geste là.
- Notre crapaud d’amour succombe,
- Avec son camélia là,
- Et la grenouille sur sa tombe
- (Il danse.) Répète en dansant la polka.
- Ceci vous prouve jouvencelles,
- Que lorsqu’on a par accident
- Le malheur d’avoir des dents telles,
- On se trouve pas mal dedans !
- Aie ! aie ! aie ! aie la dent !
- La gueuse de dent !
- La coquine de dent !
- Aie ! aie ! aie ! aie la dent
- La gueuse de dent !
- La coquine de dent !
- Aie ! aie ! etc.
Tiens ! c’est très-gentil cette balançoire-là.
Ah ! bah !… et moi qui voulais le faire décaniller… quelle veste ! (Il tire son étui à cigares pour se donner une contenance.)
Tiens ! ils sont beaux : où donc prenez-vous vos cigares ?
Dites donc, il me semble que c’est vous qui prenez…
Faites pas attention, ça se fait dans les meilleures sociétés.
Avec ça il ne s’en va pas, cet animal-là… Si je pouvais lui faire peur… (Regardant au dehors, et jetant un cri.) Ah ! le fou !… le fou, là-bas ! le fou par amour.
Qui ça ?… ce fou furieux, échappé de la maison de Charenton qui est en face, et qui erre depuis trois jours dans les environs ?
Lui-même… sauvez-vous, malheureux !
Pourquoi ça ?
Vous ne savez donc pas que cet infortuné a horreur des chapeaux pointus, vu que, dans le temps, il a été distancé de son épouse par un monsieur qui en avait un… juste comme le vôtre.