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volonté. Partout je suis bien accueilli. Seul entre tous, un docteur lombard, le comte Calini, ne voulut pas autoriser, dans l’hôpital militaire de San Luca confié à ses soins, les dons de cigares, au grand déplaisir des pauvres alités qui jetaient des regards d’envie sur les provisions de tabac entreposées à la porte, tandis que tous les autres médecins, au contraire, se sont montrés aussi reconnaissants que leurs malades des cadeaux de cette espèce. Ce petit contretemps ne m’arrêta pas, et je dois dire que c’est là le premier obstacle que j’aie rencontré et la première difficulté, quoique en elle-même bien minime, qui se présenta à moi ; jusque-là, en effet, je n’avais éprouvé aucune contrariété de ce genre, et, ce qui est plus étonnant, je n’avais pas même eu à exhiber une seule fois mon passeport ni les lettres de chaleureuses recommandations de généraux[1] pour d’autres officiers généraux, lettres dont mon portefeuille était garni. Je ne me tins donc pas pour battu vis-à-vis du docteur Calini, et le même jour dans l’après-midi, à la suite d’une nouvelle tentative à San Luca, je réussis à faire une large répartition de cigares à ces braves estropiés auxquels j’avais, bien innocemment, fait subir le supplice de Tantale ; en me voyant revenir,

  1. Notamment du général marquis de Beaufort d’Hautpoul, aussi distingué par son caractère bon et affable que par ses brillantes qualités militaires : il était chef d’état-major général du corps d’armée qui avait occupé la Toscane. Depuis lors il a commandé en chef l’expédition de Syrie — Le général de Beaufort est le neveu de feu le respectable comte de Budé, membre du Conseil général de l’Ain, qui vient de mourir à Genève, en juillet 1862, regretté de tous ceux qui l’ont connu, et que son cœur excellent et ses qualités nobles et aimables avaient fait chérir de ses nombreux amis.