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ces braves gens accueillent mes paroles de sympathie et le don d’un peu de tabac ! Sur leurs figures résignées, calmes et douces, se peignent les sentiments qu’ils ne savent comment exprimer, leurs regards en disent plus que tous les remerciements possibles. Les officiers se montrent particulièrement sensibles aux attentions qu’on a pour eux ; ils sont traités, comme leurs soldats, avec humanité par les Brescians, mais ceux-ci ne leur témoignent aucune bienveillance. Dans l’hôpital où est le prince d’Isembourg, il occupe, avec un autre prince allemand, une petite chambre assez confortable.

Pendant plusieurs jours de suite je distribue du tabac, des pipes et des cigares dans les églises et les hôpitaux, où l’odeur du tabac, fumé par des centaines d’hommes, était très-utile pour combattre les exhalaisons méphitiques, résultant de l’agglomération de tant de malades dans des locaux étouffants de chaleur ; tout ce qu’il y avait de tabac à Brescia finit bien vite par s’épuiser, et l’on fut obligé d’en faire venir de Milan ; c’était la seule chose qui diminuât les appréhensions des blessés avant l’amputation d’un membre ; beaucoup ont été opérés la pipe à la bouche, et plusieurs sont morts en fumant.

Un honorable habitant de Brescia, M. Carlo Borghetti, me conduit lui-même dans sa voiture, avec une extrême obligeance, aux hôpitaux de la ville, et il m’aide à répartir nos cadeaux de tabac, arrangés par les marchands en des milliers de petits cornets, que portent, dans d’énormes corbeilles et de gigantesques paniers, des soldats de bonne