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à la moindre contrariété. S’inquiétant peu et ne s’affectant guère, leur insouciance fait qu’ils se prêtent plus volontiers aux opérations que les Autrichiens, qui, d’humeur moins légère, redoutent beaucoup les amputations, et sont plus disposés à s’attrister dans leur isolement. Les médecins italiens, vêtus de leurs grandes robes noires, soignent les Français avec tous les égards possibles, mais le mode de traitement que suivent quelques-uns d’entre eux, désole leurs malades, car il prescrit la diète, la saignée et l’eau de tamarin.

Je retrouve dans ces salles plusieurs de mes blessés de Castiglione qui me reconnaissent : ils sont mieux soignés maintenant, mais leurs épreuves ne sont pas finies. Voici l’un de ces héroïques voltigeurs de la garde qui s’est si courageusement battu, et qui a séjourné à Castiglione, où je l’ai pansé pour la première fois : atteint d’un coup de feu à la jambe, il est étendu sur son grabat ; l’expression de son visage dénote une profonde souffrance, il a les yeux caves et ardents, son teint jaune et livide annonce que la fièvre purulente est venue compliquer et aggraver son état, ses lèvres sont sèches, sa voix tremblotante, la hardiesse du brave a fait place à je ne sais quel sentiment d’appréhension craintif et hésitant, il a peur qu’on s’approche de sa pauvre jambe que la gangrène a déjà envahie. Le chirurgien français, qui fait les amputations, passe devant son lit, le malade lui prend la main qu’il serre dans les siennes, dont le toucher est comme celui d’un fer brûlant. « Ne me faites pas de mal,