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malheureux fugitifs, isolés et tout tremblants, s’étaient d’abord abreuvés et nourris tant bien que mal dans ces souterrains, ensuite ils s’étaient furtivement échappés dans les champs où ils erraient à l’aventure pendant la nuit. Incapable de se rassurer, le Mantouan ne pouvait plus du tout conduire son cheval en ligne directe ; il tournait continuellement la tête, de gauche à droite et de droite à gauche, il fouillait de ses yeux hagards tous les buissons du chemin, appréhendant à chaque instant d’y voir quelque Autrichien embusqué prêt à le mettre en joue, il sondait de ses regards effarés toutes les haies, toutes les masures, et ses craintes redoublaient au moindre tournant de route ; son effroi se changea en une terreur indescriptible lorsque le profond silence de la nuit fut soudainement interrompu par un nouveau coup de feu d’une vedette que l’obscurité nous avait empêchés d’apercevoir, et il faillit tomber en syncope à la vue d’un grand parapluie tout ouvert, percé de trois boulets et de plusieurs balles, qui se présenta à nos regards, sur le bord d’un champ, près du sentier qui conduisait à Volta : ce parapluie faisait probablement partie du bagage de quelque cantinière de l’armée française, à qui l’orage du 24 l’avait enlevé.

Nous avions rebroussé chemin pour reprendre la bonne route de Borghetto ; il était plus de onze heures, nous faisions galoper notre cheval avec toute la rapidité possible, et notre modeste petite voiture, franchissant l’espace, filait sans bruit sur la Strada Cavallara, lorsqu’une nou-