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nant un chemin qui mène à Volta, nous allons ainsi tomber au travers du corps d’armée du général Niel, nommé maréchal depuis trois jours, et qui est campé dans les environs de cette petite ville. Les vagues rumeurs qui se font entendre sous ce beau ciel étoilé, ces feux des bivouacs alimentés par des arbres entiers, les tentes éclairées des officiers, en un mot ces derniers murmures d’un camp qui veille et qui s’endort, reposent agréablement l’imagination tendue et surexcitée ; les ombres du soir et un silence solennel ont fait place aux bruits variés et aux émotions de la journée, et l’air pur et doux d’une splendide nuit d’Italie se respire avec délices.

Quant à mon cocher italien, il était en proie à une telle frayeur au milieu de ces demi-ténèbres, et à l’idée d’être si rapproché de l’ennemi, qu’à plus d’une reprise je fus obligé de lui retirer les guides, et de les mettre aux mains du caporal ou de les prendre moi-même. Ce pauvre homme qui s’était enfui de Mantoue, huit ou dix jours auparavant, afin de se soustraire au service autrichien, s’était réfugié à Brescia pour chercher à y gagner sa vie, et il s’était engagé chez un maître voiturier qui l’employait comme cocher. Sa grande frayeur s’était considérablement augmentée d’un coup de feu tiré de loin par un Autrichien, qui avait déchargé son arme en se sauvant à notre approche et en disparaissant dans les taillis : lors de la retraite de l’armée autrichienne, quelques soldats s’étaient cachés dans les caves des maisons de petits villages abandonnés par leurs habitants et à moitié saccagés ; ces