Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que celles retracées ici[1] ; mais il arrive que le cœur se brise parfois tout d’un coup, et comme frappé soudain d’une amère et invincible tristesse, à la vue d’un simple incident, d’un fait isolé, d’un détail inattendu, qui va plus directement à l’âme, qui s’empare de nos sympathies et qui ébranle toutes les fibres les plus sensibles de notre être.

Pour le soldat rentré dans la vie journalière de l’armée en campagne, après les grandes fatigues et les fortes émotions par lesquelles le font passer le jour et le lendemain d’une bataille comme celle de Solférino, les souvenirs de la famille et du pays deviennent plus impressifs et plus palpitants que jamais. Cette situation est vivement dépeinte par ces lignes touchantes d’un brave officier français, écrivant de Volta à un frère resté en France : « Tu ne peux te figurer combien le soldat est ému quand il voit paraître le vaguemestre chargé de la distribution des lettres à l’armée ; c’est qu’il nous apporte, vois-tu, des nouvelles de la France, du pays, de nos parents, de nos amis. Chacun écoute, re-

  1. Comme ce n’est qu’après plus de trois ans que je me suis décidé à rassembler des souvenirs pénibles, que je n’avais pas eu l’intention de livrer à l’impression, on comprend qu’ils fussent déjà quelque peu effacés, et qu’ils soient en outre abrégés en ce qui concerne les scènes de douleur et de désolation dont j’ai été le témoin. Mais si ces pages pouvaient faire naître, ou développer et presser la question, soit des secours à donner aux militaires blessés en temps de guerre, soit des soins immédiats à leur prodiguer après un engagement, et si elles pouvaient attirer l’attention des personnes douées d’humanité et de philanthropie, en un mot si la préoccupation et l’étude de ce sujet si important devaient, en le faisant avancer de quelques pas, améliorer un état de choses où de nouveaux progrès et des perfectionnements ne sauraient jamais être de trop, même dans les armées les mieux organisées, j’aurais pleinement atteint mon but.