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petits marchands ambulants qui suivent ordinairement les troupes en campagne, les gens de la ville ajoutèrent foi à ce bruit ridicule, en voyant se précipiter au milieu d’eux ces individus haletants de terreur. Aussitôt les maisons sont fermées, les habitants se barricadent chez eux, brûlent les drapeaux tricolores qui pavoisaient leurs fenêtres, et se cachent dans leurs caves ou leurs greniers ; ceux-ci se sauvent dans les champs avec leurs femmes et leurs enfants, en emportant tout ce qu’ils ont de plus précieux ; ceux-là, un peu moins troublés, restent chez eux, mais y installent les premiers blessés autrichiens qui leur tombent sous la main, qu’ils ramassent sur les places, et qu’ils comblent tout-à-coup d’égards et de prévenances. Dans les rues et sur les routes, encombrées de voitures de blessés allant à Brescia et de convois destinés à l’approvisionnement de l’armée et venant de cette ville, ce sont des fourgons emportés à toute vitesse, des chevaux fuyant dans toutes les directions au milieu de cris d’effroi et de colère, des prolonges chargées de bagages qui sont renversées, des chargements de biscuit qui sont jetés dans les fossés bordant le grand chemin. Enfin, les conducteurs auxiliaires, frappés de plus en plus de terreur, détèlent les chevaux et s’élancent, bride abattue, sur la route de Montechiaro et de Brescia, sur le parcours de laquelle ils sèment l’épouvante en produisant une bagarre incroyable, heurtant les charrettes remplies de vivres et de pains que l’administration municipale de Brescia expédie continuellement dans le camp de l’armée alliée, entraînant avec eux