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ayant vu son chef, le colonel Vaubert de Genlis, renversé de cheval et dangereusement blessé, avait été frappé d’une balle au cœur en s’élançant pour prendre le commandement. Non loin est le colonel de Genlis lui-même, agité par une fièvre ardente, et auquel on donne les premiers soins, et le sous-lieutenant de Selve de Sarran, de l’artillerie à cheval, qui, sorti depuis un mois de Saint-Cyr, va subir l’amputation du bras droit. Voilà un pauvre sergent-major des chasseurs de Vincennes, qui a les deux jambes traversées par des balles, que je reverrai dans un hôpital de Brescia, que je retrouverai encore dans un des wagons du chemin de fer qui me reconduira de Milan à Turin, et qui doit mourir des suites de ses blessures en passant le Mont Cenis. Le lieutenant de Guiseul, qu’on croyait mort, est relevé sur l’emplacement où, tombé avec son drapeau, il était resté sans connaissance. Tout près, et comme au centre d’un abattis de lanciers et de chasseurs autrichiens, de turcos et de zouaves, et dans son élégant uniforme oriental, gît le cadavre d’un officier musulman, le lieutenant de tirailleurs algériens Larbi ben Lagdar, dont le visage hâlé et bruni repose sur la poitrine déchirée d’un capitaine illyrien à la casaque d’une blancheur éclatante ; ces monceaux de lambeaux humains exhalent une vapeur de sang. Le colonel de Maleville, si héroïquement blessé à la Casa Nova, rend le dernier soupir ; on enterre le commandant de Pongibaud qui a succombé dans la nuit, et on retrouve le corps du jeune comte de Saint-Paër qui avait gagné, depuis une semaine à peine, son