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de cette nuit si triste l’affluence en fut énorme ; les médecins pansaient leurs plaies, les réconfortaient par quelques aliments et les expédiaient, par les wagons du chemin de fer, sur Vérone, où l’encombrement devint effroyable. Mais quoique dans sa retraite l’armée ait enlevé tous les blessés qu’elle peut transporter avec ses voitures et des charrettes de réquisition, combien de ces infortunés sont laissés gisant abandonnés sur la terre humide de leur sang !

Vers la fin de la journée et alors que les ombres du crépuscule s’étendaient sur ce vaste champ de carnage, plus d’un officier ou d’un soldat français cherchait, ici ou là, un camarade, un compatriote, un ami ; trouvait-il un militaire de sa connaissance, il s’agenouillait auprès de lui, il tâchait de le ranimer, lui serrait la main, étanchait son sang, ou entourait d’un mouchoir le membre fracturé, mais sans pouvoir réussir à se procurer de l’eau pour le pauvre patient. Que de larmes silencieuses ont été répandues dans cette lamentable soirée, alors que tout faux amour-propre, que tout respect humain était mis de côté !

Au moment de l’action, des ambulances volantes avaient été établies dans des fermes, des maisons, des églises et des couvents du voisinage, ou même en plein air à l’ombre de quelques arbres : là, les officiers blessés dans la matinée avaient subi une espèce de pansement, et après eux les sous-officiers et les soldats ; tous les chirurgiens français ont montré un dévouement infatigable,