Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gent pour d’autres qui en ont plus besoin que moi ; et quant à ma mère, j’espère bien lui envoyer sa pension le mois prochain, car je compte pouvoir bientôt travailler. »

L’une des grandes dames de Milan, portant un nom historique, avait mis à la disposition des blessés un de ses palais, avec cent cinquante lits. Parmi les soldats logés dans ce magnifique palais se trouvait un grenadier du 70e qui, ayant subi une amputation, était en danger de mort. Cette dame, cherchant à consoler le blessé, lui parlait de sa famille, et celui-ci racontait qu’il était le fils unique de paysans du département du Gers, et que tout son chagrin était de les laisser dans une profonde misère, puisque lui seul aurait pu pourvoir à leur subsistance ; il ajoutait que ç’aurait été pour lui une bien grande consolation d’embrasser sa mère avant de mourir. Cette dame, sans lui communiquer son projet, se décide subitement à quitter Milan, elle monte en chemin de fer, se rend dans le département du Gers auprès de cette famille dont elle a obtenu l’adresse, s’empare de la mère du blessé après avoir laissé deux mille francs au vieux père infirme, emmène la pauvre paysanne avec elle à Milan, et, six jours après la conversation de cette dame avec le grenadier, le fils embrassait sa mère en pleurant et en bénissant sa bienfaitrice.


Mais pourquoi avoir raconté tant de scènes de douleur et de désolation, et avoir peut-être fait éprouver des émo-