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— Pas plus !

— Eh bien, moi, je le sais. Tu as vécu un roman. Moi j’ai vu son épilogue.

— Dis vite !

— C’est d’ailleurs digne des débuts, voici : en 1917, je remplissais une mission secrète pour le gouvernement français. Ladite mission me faisait, avec les risques que vous savez, voyager chez les Hongres. J’étais en avril à Kornenburg. Là, je me sentis pisté, donc en danger. Je me dirigeai vers Graetz. Justement, tiens, je traversai, et à cheval s’il vous plaît, des lieux tout à fait — relativement — d’actualité : les champs de bataille de Wagram et d’Essling, entre Kornenburg et Presbourg. Pour aller à Graetz, toutefois, je pris le train via Raab. À Raab, une autre malencontre m’advint, et redoutable. Un ancien tzigane du Café de la Paix, à Paris, y était chef de la police. Je pense d’ailleurs qu’il ne s’était point converti et qu’il en était déjà chez nous. Mais il me voit, et je le vois. Je comprends le danger et, sans passer à mon hôtel, je sors à pied de Raab, j’achète à trois lieues de là un cheval, puis me voilà parti en centaure vers le sud. Je m’étais confectionné une bonne tête de capitaine autrichien, et… je m’en tirai, non sans qu’on m’ait, par contre, tiré dessus par trois fois.

Donc, en sortant de Raab, j’écornai la forêt de Bakony. C’était pour moi une route exécrable, mais sûre. J’en suivais la lisière, au lendemain de ma fuite. Mon cheval était bon et je ne faisais pas de grande vitesse, étant de ceux qui ne reconnaissent aucune vertu à la fuite éperdue.

Il était midi. Je n’avais pas encore vu un être vivant depuis le matin. Je menais mon bidet en main pour me dérouiller les jarrets, et, bien entendu, je surveillais avec soin le terroir, d’ailleurs accidenté et capable d’assurer un escamotage complet.

Je marchais ainsi depuis quatre ou cinq kilomètres, quand, à une corne de mauvais chemin, menant à Bakony, j’aperçus un gibet avec son pendu.

Je m’arrêtai étonné. C’était, moi, le premier que je visse en ce pays. Il était à quarante mètres, et, comme je perçus un papier blanc fixé sur le montant de l’appareil, je m’approchai pour mieux connaître quel crime avait commis cet inconnu infortuné.

Il y avait sur le papier simplement ceci :

Atko Szegeny, assassin et violeur de femmes.