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Au plafond, pend une lampe en cuivre de modèle médiéval, une aiguière à long bec, d’où sort une mèche. Sous l’aiguière, une sorte de soucoupe recueille l’huile qui coule.

Des quatre joueurs, deux sont déguenillés jusqu’à l’ignominie, un autre doit être quelque paysan cossu ayant fui en forêt les gendarmes impériaux, et le dernier, avec sa culotte bouffante, ses bottes et son gilet court à broderies, possède quelque dignité. Les deux dormeurs ont l’air de paysans.

Les quatre joueurs me dévisagent avec négligence. Nulle surprise, nul désir, nulle discourtoisie, nulle grossièreté. Ils sont habitués à tout, rien ne les émerveille et la curiosité est absente de leurs esprits. Mais je suis intimidée, certes, et non point sans anxiété.

Mon sauveteur a refermé la porte. Il dit en magyar, comme une présentation :

— La Française du château égarée.

Je m’assied sur un banc, le cœur tintant, je regarde ; j’écoute. Mes trois mille francs d’économies, qui forment un petit paquet dans la poche de ma jupe, pourrais-je les emporter de ce repaire ?

— Boire ?

C’est le plus déguenillé des betyars qui m’interroge. Je fais non de la tête. Il remplit le verre unique et me le tend.

Froidement, comprenant qu’il faut éviter de faire la bégueule, je bois le liquide, un vin très fort, ou une eau-de-vie curieuse, faible, de même saveur que le raki grec.

Le brigand cossu frappe sur la bouteille et dit, s’adressant à moi :

— Tokay.

Tous les regards convergent vers moi. Ils sont satisfaits que j’aie bu.

L’amateur de Tokay se verse une rasade et rit.

— Tokay connu même chez les Français.


J’approuve.

Alors, il se penche vers ma main, que j’ai oubliée à plat sur la table, et désigne un cercle d’or ciselé en pampres et vrilles de vigne.

— Montrer bague ?

Je pense : voilà le dépouillement qui commence. Dans cinq minutes je serai nue. J’enlève l’anneau et le passe à l’homme. Il regarde avec soin,