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tomberait pas en quenouille. Pour moi, que ce fut François, ou Joseph, ou Léopold, ou Rodolphe, ou Alphonse, ou Antoine, ou Charles de Habsbourg, c’était toujours la même chose.

Je questionnai :

— Me menez-vous loin ? Je suis lasse.

— Non ! C’est ici. Notre gîte de betyars se trouve à deux pas. Vous y reposerez, et demain…

Le mot betyar me figea les moelles. C’est un brigand, ce sauveur, qui me mène chez ses confrères. Pourvu que…

À vingt mètres, une porte s’ouvre, une lueur jaillit, puis s’abolit.

— Nous sommes arrivés…

Il ajoute, confidentiellement :

— J’aime beaucoup les Français, venez.

Nous sommes à la porte. Une lueur passe au-dessous. Mon betyar pousse deux cris sourds, frappe deux coups et ouvre. Il entre, je le suis.



C’est une cabane en planches, assez haute d’étage, le sol est de terre. Deux tables énormes, avec des bancs bas, sont placées parallèlement devant une fenêtre close de volets intérieurs. Au plafond, il y a une trappe et, dans un angle, une échelle. En face de l’entrée, une vaste cheminée de glaise séchée ou cuite occupe, avec son auvent de bois, tout un côté de la cabane. Il n’y a pas un meuble de plus. Aux murs, deux fouets, une houppelande et une vierge en plâtre sont placés. À une des deux tables, il y a six betyars. Tous sont assis. Deux dorment, quatre jouent aux dés. Ils ont des faces redoutables. Les moustaches lourdes tombent sur des mentons courts. Les tignasses apparaissent ébouriffées et huileuses. Les yeux sont dilatés dans des sclérotiques verdâtres. La peau de ces hommes est semblable à une écorce de vieux bois.

Ils boivent. Il y a un seul verre pour tous, et un cruchon à panse cubique, qui doit contenir de l’eau-de-vie.