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Mon voisin était un homme haut et large, face hongroise, vêtu d’une peau d’ours.

— Ah ! c’est la sœur française du château. Comment êtes-vous ici ? Vous allez être tuée par les bêtes ?

Je ne répondis rien, bandant seulement toute ma vigueur pour ne pas tomber là, pour rester debout, dans une émotion qui faisait grelotter mes jarrets, comme ceux des bêtes de course, après l’arrivée.

L’homme prit ma main pendante et la baisa avec respect.

— Elle est émue, la petite sœur française. Elle s’est crue perdue. Qu’elle marche à mon côté.

Il me prit par l’épaule. Cramponnée à ma volonté défaillante, je luttais contre la syncope. Je sentais mes yeux agrandis tirer la peau autour de mes orbites. Mes dents étaient si bien bloquées que ma tête n’était qu’une pierre. Je craignais que mes muscles ne vinssent à flancher, je tirais sur eux comme sur des extenseurs. Les fibres anémiées obéissaient mal, et surtout le grand muscle qui tourne autour du fémur, de la hanche vers l’intérieur de la cuisse, me semblait rempli de sable. Aux chevilles, l’articulation était disloquée, mais je parvins à marcher. Peu à peu, l’élasticité revint dans mes membres. L’homme posait une question nouvelle tous les trois pas. Je pus enfin lui répondre.

— Oui, je suis sortie avec Ida Effreazy et je l’ai perdue. Le château est-il loin ?

— Loin ! répondit mon compagnon. Mais c’est la princesse qui vous a perdue. Je l’ai vue avec Atko.

— Mais le château ?

— Impossible de vous en approcher avant le jour, car la guerre va être déclarée, et, en temps de guerre, au château, on tue qui s’approche, c’est la loi.

— La guerre, dis-je avec curiosité, avec quel pays ?

Je songeai aux fastes de Hongrie, à ces luttes séculaires entre les Moldaves, les Pollaques, les Bohémiens, les Prussiens. J’aurais cru que c’était là de l’histoire ancienne. Alors, ça les reprenait ?…

L’homme murmura des mots que je ne compris pas. Je savais bien que des Croates avaient assassiné quelques semaines plus tôt le prince héritier d’Autriche. Mais la famille des Habsbourg est vaste. Il doit y avoir une quarantaine d’archiducs ayant droit au trône. Le sceptre ne