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les enlever, me piquai les doigts avec rage, et le sentiment de mon impuissance me tira quelques larmes désespérées.

Mais brusquement je touchai, à la limite d’extension de mes bras levés, une lourde et forte branche. Je m’arrêtai. Deux minutes, j’essayai la résistance de cette tige grosse comme ma cuisse, puis m’enlevai pour la saisir. L’écorce rugueuse me râpa les poignets, mais la prise était bonne. Je me contordis alors pour passer une jambe et me rétablir. Ma jupe me gênait. Je faillis tomber. Enfin je parvins à m’accrocher par le jarret et, d’une énergique traction des avant-bras, je me hissai sur la branche. Je m’assis, épuisée. Le vide que je sentais partout rendait mon équilibre instable, car dans l’obscurité je n’avais plus aucun sentiment de la verticale. Enfin je compris qu’il fallait venir m’adosser au tronc. À califourchon sur ma branche, j’en gagnai peu à peu la partie grossissante. Quand je trouvai l’arbre lui-même, j’étais à bout de forces et abominablement écorchée au lieu même où le trot ensanglante les cavaliers novices.

Je m’assis, le dos au tronc, les jambes allongées sur la branche, puis je laissai la fatigue l’emporter dans le sentiment d’être à l’abri des fauves et je somnolai.

Le froid m’éveilla. La nuit était toujours compacte. Combien de temps avais-je dormi dans ma fourche. Je me sentais ankylosée. Mes jambes étaient insensibles, et, dans cette étrange posture, un endolorissement me prenait par les reins et me vidait les vertèbres. Cinq minutes, je restai sans bouger, écoutant la ténèbre vivante. Maintenant les bruits les plus légers se mélangeaient harmonieusement comme pour faire un concert sylvestre. De petits cris semblables à des appels de souris partaient sous mon arbre. Des êtres prompts couraient dans l’herbe, des pattes agiles grattaient le sol. Le monde semblait tenir dans les quelques mètres au-dessus desquels je reposais.

Je voulus plier une jambe. Le mouvement m’arracha un cri de douleur. J’étais réduite à l’état de momie. La vie fuyait mes membres. Si je restais là, demain matin je ne serais plus vivante.

Alors je pensai que le plus simple était de sauter sur le sol, de faire là un peu de gymnastique circulatoire, et de remonter ensuite ici. D’ailleurs, dans ma pétrification lente, je perdais le contrôle de mes gestes et j’allais choir involontairement sans doute d’un moment à l’autre si je persistais dans mon ankylose. Je tentai de me suspendre par les bras, ce