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d’autres un peu grisâtres dans la nuit qui m’entourait. Les nerfs sensibles comme des cordes de violon, rétractée et tendue à la fois, j’écoutais autour de moi l’immense terroir s’éveiller. L’ouïe semblable à celle d’un félin aux oreilles mouvantes, je ramassai dans le vent toutes les paroles sylvestres.

À dix pas, je perçus soudain un passage de bête. J’entendais les fougères fouetter l’air et crisser les mousses sèches, Puis, sur ma tête, un hibou hulula. Quelque chose de rapide courut devant moi, pourchassé sans doute, et, à vingt mètres, un miaulement plaintif naquit. Un vol ouaté me frôla, puis je crus sentir une haleine humide sur ma main, et je donnai un violent coup de pied au hasard. Un cri mince et flûté fit tressaillir le hallier et, de nouveau, une aile veloutée me jeta à la face un air fade. Enfin, très loin, il y eut un cri d’agonie, émietté par les échos, diminué peu à peu et terminé en une sorte de sanglot. J’entendis alors naître le rauque appel d’un loup, cet aboi prolongé et étiré comme un écrasement de cristal broyé dans une cloche. Et cela finissait en un nasillement lugubre. Le cri pétrissait l’air jusqu’à mes sens terrifiés.

Le loup s’éloigna, son appel me vint encore, plus lointain et atténué. Je devinais la bête assise, les pattes de devant en contreforts, jetant au zénith ce hurlement étrange, le museau largement ouvert et levé.

Il me fallait quitter cette posture sacrifiée et tenter de me hausser jusqu’à une fourche d’arbre. Le chêne auquel j’étais adossée était énorme, donc insaisissable. Je m’écartai de lui avec un frisson d’épouvante à l’idée d’être entourée de tant de dangers. Je tâtonnai, les mains levées. Souvent une branche d’arbre est assez infléchie pour passer à hauteur de tête. J’avançai en cherchant au hasard.

Ces quelques mouvements suffirent pour me rendre mon sang-froid. Ce qu’il me fallait en ce moment, ce n’était que le courage de comprendre la vanité de tous actes, sauf purement conservatoires. Le château n’existait plus pour moi, ni Ida Effreazy. Seule demeurait la nécessité immédiate qui me conseillait de me percher.

Je constatai l’absurdité de marcher la nuit dans une forêt inconnue. De jour, je suivais un chemin choisi par l’œil. Dans le noir, je butais dans des souches et des pierres. Je me heurtais aux troncs, je m’enlisais dans des dépressions fangeuses. Le sol croulait ici, là se relevait. Des ronces s’accrochaient à mes bas, me retenaient comme des mains. Je m’agaçai à