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m’éloigner, attentive seulement à ne point infléchir ma route. La nuit tombait.

Enfin le sentiment de ma solitude me gonfla le cœur d’orgueil et de tristesse.

Où étais-je vraiment par rapport au château ? Ce damné château était là ; quelque part, à cinq ou six kilomètres au plus. Mais la direction ?

Je voulais repérer le nord et le sud. Ce me fut impossible. L’est, qui, d’après les voyageurs en chambre, est indiqué par la mousse au tronc des arbres, me resta illisible. Dans une éclaircie je cherchai ma route au ciel. Le levant s’obscurcit le premier au coucher du soleil, et le ponant se colore. Mais ma recherche fut vaine. Le lourd chaudron céleste était uniformément couleur de zinc. Je voulus, pendant qu’il faisait encore jour, découvrir le chemin que nous avions suivies, avec Ida, dans la forêt. Ce fut vain. Autour de moi, l’horizon déjà bref se refermait cependant. Tout à l’heure, je voyais à cent mètres, puis j’avais vu à quarante. Maintenant, à dix mètres, je ne percevais plus qu’une pénombre mouvante.

La nuit !

Je cherchai en ma mémoire un acte à accomplir, une recette capable de me dire j’étais, quelque chose où accrocher de l’espoir.

Et brusquement, je trébuchai sur une souche. Je me remis debout, irritée, puis une épouvante me secoua les vertèbres : je ne voyais plus à mes pieds.

L’énorme silence verdâtre de la forêt m’enlinceulait d’une ombre lourde. Je marchai encore, dans un ardent désir de ne pas m’abandonner, de percevoir encore mes membres et la vie en moi. Puis je sentis que seul un forestier pouvait désormais se diriger parmi la ténèbre massive. Alors, découragée de me sentir saisie partout, accrochée par des branches ou des épines, étreinte par cette végétation héracléenne, je m’adossai à un tronc et attendis. Que faire ? Dans le désordre des idées, la terreur se glisse vite. Il me fallait discipliner mon cerveau. Je me cramponnai à des raisonnements simples : grimper dans un arbre et attendre le jour, par exemple. Mais là-dessus, ma pensée vagabondait : même si demain je regagnais le château, qu’adviendrait-il ? Comment serais-je reçue ? Ida allait-elle rentrer seule, ce soir, ou si elle n’y revenait plus ? Mais en ce second cas, le château m’était interdit, car on me soupçonnerait d’avoir perverti cette jeune fille… Maintenant, je ne percevais plus que des pans très noirs et