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— Elle crèvera seule ici.

Ida eut un ricanement féroce.

— Imbécile ! tu ne sais pas de quelle race ils sont, ces Français. Elle ne saurait pas manier une hache, ni tuer avec un couteau, ni torturer. Mais elle a une énergie de loup. Tu sais, ce loup aux pattes brisées qui est venu crever si loin du lieu où tu l’avais blessé. Elle est comme cela. Elle me disait que, dans son pays, les hommes travaillent jusqu’à ce que les outils leur tombent des mains.

— Des lâches !

— Tu es bête, Szegeny !

— Oui, peut-être. Mais moi, Atko Szegeny, je n’ai jamais travaillé et j’ai tué seize hommes… Seize !

— Je t’avais dit que cette Française devait être aussi tuée par surprise. sans cela, elle nous échapperait. Elle échappe…

— Je te dis que pas une femme, d’ici, ne peut regagner le château, ni trouver, même sachant qu’elle existe, la demeure de Janko. Elle mourra. Et il y a des loups. J’en ai vu deux tout à l’heure.

— Tant mieux, Szegeny. La trouves-tu belle ?

— Non ! Quand elle courrait, j’ai vu ses jambes. Elle court vite !

— Tu l’aimerais ?

— Pouah ! Une Française ! On dit qu’elles ont le poil blond et qu’elles se parfument partout. Tu m’as aimé, moi, betyar, Ida, plutôt que le baron Kaassy et que le comte Amotros. Tu n’as pas voulu Vahoray qui dirige un grand journal, ni le député Csavorky. Moi, je mets la main sous le couteau pour jurer que si j’avais eu la Française, je ne l’aurais pas même fait couvrir par mon chien.

— Tu dis cela, Atko, mais tu as remarqué ses jambes…

Je reculai, lentement et insensiblement. Une horreur nouvelle me revenait. Qu’attendre de ce couple ? Ida, fille du prince Effreazy, était bien faite, âme et corps, pour ce brigand, ce betyar de la forêt de Bakony. Mais maintenant, il me fallait fuir… Je fus bientôt à cinq pas d’eux, puis à cinq mètres, puis à dix, puis à trente. La forêt, autour de moi, était dense comme un fourré. D’instinct, je gagnai les conglomérats végétaux les plus serrés. Bientôt je ne reconnus plus l’arbre au pied duquel Ida et le betyar conversaient amoureusement. Et je continuai à