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Ils me cherchaient. Je vis l’homme indiquer une direction qui éloignait de moi, et ils la prirent. À ce moment, ils se trouvaient à quarante mètres peut-être, mais ils agrandirent cet espace. Comme j’allais les suivre de loin, ils changèrent soudain de route et revinrent de mon côté. Je me cachai avec soin, suivant leurs évolutions avec cette tension que le danger crée dans les esprits fermes. Ils s’approchaient. Maintenant, ils étaient à vingt mètres. La fuite m’était impossible. L’homme me rattraperait. Je n’avais aucune arme. Ma vie se jouait à pile ou face. Mais, parvenus tout près, si près que j’entendis Ida dire :

— C’est ta faute, tu as trop tardé !

Ils tournèrent et s’effacèrent derrière un énorme tronc. Je ne les vis plus. J’allais, au bout d’un long temps, me relever lorsque j’entendis une sorte de cri grelottant au lieu où ils avaient disparu. La curiosité, plus puissante que la peur, et la certitude que le seul moyen de me garder d’eux consistait à savoir exactement où ils étaient, me poussèrent à progresser vers ce cri. Je le fis, lentement, rampant avec précaution sur les mousses. Je ne me savais pas jusqu’ici cette science de Peau-Rouge sur une piste. J’étais arrivée près du tronc derrière lequel Ida et l’inconnu étaient sortis de mon regard, quand j’entendis leurs voix à quelques pas. Étendue à faire corps avec le sol, je gagnai encore deux mètres et je vis :

Ils étaient là tous deux.

Lui — l’homme du musée de Pesth, comment n’y avais-je pas pensé ? — reposait allongé de côté, tout au long, la tête appuyée sur le coude, me tournant le dos. À moins d’un mètre, sur l’échine, Ida Effreazy, vautrée, semblait cuver un délire voluptueux que le temps n’abolissait point. Et je la voyais, dans sa posture de prostituée, offerte, les bras détendus, les jambes disjointes. Les deux amants venaient de se prendre et le cri entendu tout à l’heure était un cri de volupté.

Ida dit, sans bouger ni voir, la voix rauque, le visage au ciel :

— Cette Française court vite !

— Certes ! ricana l’individu.

— Pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt, Szegeny ?

— Tu ne m’avais pas fait signe.

— Si.

— Je n’ai pas vu.

— Et maintenant, comment la tuer, Szegeny ?