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elle obliqua sa face vers la gauche, regarda en plissant le front, puis me dévisagea avec une expression neuve, celle du vainqueur qui méprise, avant de le tuer, son vaincu.

Je tournai la tête aussitôt dans la direction que m’indiquait son regard. À cent mètres, une ombre progressait entre les arbres. Homme, sans doute, mais peut-être bête ?

— Mademoiselle Ida…

Je n’en dis pas plus. Elle s’approchait de moi et, avec une indicible haine dans ses yeux troubles, arrivée à un pas, elle me cracha au visage.

Elle se tourna ensuite vers l’ombre rapprochée, un homme vraiment, et dit :

— Ah ! Ah ! Enfin !

Il est, dit-on, des circonstances, dans la vie, où tout le passe reparaît devant vous. Moi, je crus lire le prochain avenir. J’étais dans un traquenard. Cette petite femelle hongroise avait l’intention de me faire tuer par quelque individu dévoué convoqué ici-même.

Je fis quelques pas en arrière, tandis que se formulait une nécessité en mon cerveau. Tant qu’on est libre, on n’est pas vaincu. Autour de moi, hors cette clairière oblongue, c’était le magma végétal, obscurci par le soir tombant. Danger, peut-être, mais aussi sauvegarde. Alors, d’un bond, je m’élançai dans le cône d’ombre d’un chêne ; je courus vers un autre et, m’efforçant à masquer ma route à Ida comme à l’inconnu, je m’enfuis éperdument, troussée jusqu’aux cuisses, souple comme un faon.

Je fis cent mètres, contournant les troncs, cherchant les buissons, accumulant les obstacles entre moi et mes poursuivants probables.

J’entendis Ida crier :

— Viens vite, elle va échapper !

— Certes, j’allais échapper. J’avais des souliers légers et je cours bien. Je continuai à fuir jusqu’à la limite de mes forces. Enfin, voyant, entre deux arbres, une sorte de haute broussaille formant haie, je me glissai derrière et m’allongeai au sol pour reprendre souffle. Le silence fut un moment troublé. J’entendis voler un oiseau chuintant, puis un rongeur déboula non loin et disparut. Ensuite ce fut la mutité totale.

Je regardai la direction suivie. Rien ne s’y manifestait. Cinq minutes passèrent, puis, en oblique, venant vers ma gauche, je vis avancer deux êtres attentifs : Ida et l’inconnu.