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Je hochai la tête. Savais-je, moi, si les ouvriers des grandes usines vivent vieux ? Évidemment, ils s’en vont avant quatre-vingts ans, peut-être avant soixante, peut-être…

Je me retournai soudain. Nous étions dans une petite clairière triangulaire. Autour de nous, des arbres d’un noir bleuâtre levaient des troncs verruqueux. Le château devait être loin. Nous avions marché longtemps. Où était-il même ? Je ne savais plus ma direction.

Je dis :

— Ida, il faut revenir. Nous sommes presque égarées !

— Comme vous voudrez ! Dites-moi par quel chemin ?

Ce ton de voix insolent me frappa. Je regardai la jeune fille. Elle riait, les commissures basses, avec un grand air de mépris.

Je crus pouvoir choisir un tracé et je dis, comme si j’en avais été assurée :

— Le château est par là.

Ida éclata d’un rire blessant qui sonna dans la clairière. Je voyais ses dents de petit fauve, les plis féroces coupant les joues tendues. Elle avait l’aspect d’une vieille femme coléreuse. Une hideur méchante s’accusait en son masque. Je fis semblant de n’en rien voir.

— Oui ! Marchons par ici, Ida !

— Non !

— Que dites-vous ?

— Je dis que vous êtes bien ici et y resterez.

Sa phrase avait un ton de commandement. Je voyais enfin une figure hongroise de cruauté et de supplices, comme on en montre tant dans l’histoire. Elle retroussait les lèvres comme un chat affamé. Les paupières tombaient à droite et à gauche sur les angles des cornées. De chaque côté du nez étroit le méplat des joues était fendu d’une ride de méprisante jouissance. J’évoquai les faces espagnoles des amateurs d’autodafés, les sourires des magistrats venant voir rouer leurs condamnés et dont d’Argenson, en ses mémoires, rappelle avec mépris les « sensibilités de Tournelle ».

Elle ne me fit point peur, Ida Effreazy. Mais mon premier geste fut de reculer de cinq pas, pensant qu’elle portait une arme cachée. Je songeai aux trente ou quarante mille mises à mort que décréta, depuis qu’elle existe, cette famille Effreazy, longtemps connue pour sa cruauté. Alors, soudain,