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— Je suis une fille de magyar !

Je haussai les épaules. Comme si moi, Française, j’étais plus accessible à la peur que cette pimbêche.

Je demandai.

— Vous m’avez dit, Ida, qu’il y avait des bûcherons par ici. Nous n’entendons rien.

Elle ironisa.

— Nous ne sommes pas en votre pays où l’on travaille, m’avez-vous dit, tant et tant. Ici ; on travaille et on se repose…

Il y avait une volonté méchante dans son regard. Je n’insistai pas. Je ne l’avais jamais vue si hostile.

Nous marchâmes cinq minutes en silence. Bientôt, je compris que mon devoir était de parler. J’étais l’éducatrice. Je me mis donc à expliquer je ne sais plus quoi. Puis je trouvai des champignons, un curieux végétal, couleur gris de fer, et dont les spores fuyaient au moindre contact, par un trou du sommet. Ensuite, j’en trouvai un couleur d’orange, piqueté de verrues lactées, puis un autre blond, avec des traînées vert-de-grisées, et dont le contact gluant irritait les doigts.

Nous avancions en zig-zag. Je trouvais un certain charme à cette errance vagabonde. Le silence était rassurant. Les mousses amortissaient nos pas. Ida m’écoutait avec soin. De temps à autre elle me questionnait et relançait mon éloquence. Des champignons, par je ne sais quel détour, j’en vins à parler d’industrie. J’expliquai ces usines géantes de France où quatre, six, dix mille ouvriers répètent, dix heures chaque jour, un geste, toujours le même, un geste étudié par les physiologistes et les ingénieurs, un geste parfait, d’une rigueur de mécanisme. Elle disait :

— Ça ne doit pas être fatiguant de toujours faire le même mouvement, s’il est simple.

Je reprenais :

— Au contraire, la vitesse de ce geste et l’attention qui lui donnent sa valeur millimétrique, sont combinées de telle sorte qu’à la fin de la journée, l’homme est exténué. Dix minutes de plus et l’attention fléchit, le geste perd son rythme avec sa rigueur ; il y a malfaçon ou accident.

— Mais, répondait-elle, vous osez donc épuiser l’homme chaque jour. Il ne quitte son travail que par incapacité de le continuer. Vos ouvriers vivent-ils vieux ?