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les heures douces, les repas excellents, la bibliothèque riche. Que pourrais-je attendre de mieux en ce Paris fiévreux, tendre, luxurieux, cruel, et où les vies se heurtent avec une telle violence que chaque jour possède son palmarès de crimes, de suicides et d’accidents !

Ida eût dû être dans la bibliothèque lorsque je descendis. Elle y manquait parfois. Je n’en eus aucun souci et me mis à déchiffrer une chronique latine spirituelle du XVIe siècle. Elle grouillait de réflexions pittoresques, de vérités aiguës, de remarques plaisantes. C’était un Effreazy qui l’avait rédigé en 1570, retour de Paris où il avait vu bien des choses ignorées et entrevu des faits fort curieux sur les préparatifs de la saint-Barthélemy qu’il annonçait pour l’année suivante. L’intérêt de cette chronique, c’était le détail des négociations tentées par Monsieur l’Amiral (Coligny) pour acheter les Guise. J’avais l’impression que si les banques huguenotes du temps avaient voulu financer plus largement, Coligny aurait pu changer du tout au tout, par une corruption intelligente, l’aspect des problèmes politiques du temps. On a l’habitude d’envisager les questions d’alors sous l’angle exclusif des passions religieuses. Rien ne m’apparaissait plus faux à lire les documents contemporains que j’avais en mains.

Et Mathias Effreazy concluait en ces termes avec un sens politique très fin :

Le Pouvoir seul peut corrompre sans argent. Si vous n’êtes pas le pouvoir, vous avez besoin d’être dix fois plus riche que lui pour obtenir des amitiés de même valeur. Enfin, si vous luttez contre un pouvoir établi, commencez par constituer un fantôme de pouvoir ayant d’apparence les mêmes prérogatives que l’autre. Avec des titres, des faveurs verbales et des grades, vous vous créez des dévouements que nul or ne saurait acheter.

Pour être opposées à certaines affirmations de Machiavel, grand maître des directions politiques, ces certitudes n’en ont pas moins une grande profondeur morale. Elles ouvrent sur les guerres de religion du XVIe siècle des perspectives peu familières. On sait naturellement bien que tous les hommes s’achètent, mais la coutume est si enracinée de juger les siècles antérieurs au xixe comme mus exclusivement par des passions souveraines qu’on a pris l’habitude de ne tenir aucun compte de la