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cendie de ce genre-là, surtout lorsqu’il n’a de hasardeux qu’une vague apparence et que tout conspire à le développer ?…

À sept heures du soir, nous parvînmes au château. J’étais lasse au possible de tant d’événements advenus et projetés, de méditations si obstinées, et de ce voyage dont la traversée du Balaton, sous un geyser d’eau, était éminemment représentative. En route, dans la forêt, je constatai chez mon élève une curieuse attitude. On eût dit qu’elle guettait quelque chose autour d’elle. Elle regardait partout avec une attention étonnante. Les corbeaux croassaient, les grognements des porcs s’entendaient sous les chênes, la cadence du pas des chevaux sonnait rythmiquement dans la vastitude végétale comme l’eau élargit des cercles concentriques autour du lieu où chût une pierre. Jamais cette sensation de solitude hargneuse et infiniment éloignée de tout, qui devait venir à l’esprit au château de Bakony, ne m’avait assiégée ainsi. Quels fous orgueilleux avaient édifié cette forteresse, et quelle démence y maintenait obstinément, contre toute raison, près de trois cents personnes, aussi perdues qu’en une île isolée du Pacifique ?

Cependant que je songeais ainsi, Ida Effreazy me dévisageait avec un étrange et troublant air de triomphe. On eût dit un chat qui vient de tuer un oiseau. Sous ses paupières à demi-baissées, filtrait un regard luisant, mince et oblique. Sa bouche avait d’ironiques crispations et ses doigts gantés dessinaient des signes mystérieux sur ses genoux.

Nous fûmes reçus au château comme si notre départ datait d’une heure.

La princesse Effreazy fit dire à sa fille qu’elle la verrait le lendemain. Le prince Arpad était avec ses chevaux et je fus me coucher, ayant abdiqué mes responsabilités.

Nous étions alors le 29 juillet 1914. Je ne lisais jamais de journaux et j’ignorais que sur l’Europe se formât un orage qui…



Le lendemain, à neuf heures, reposée et rendue à ma quiétude, je ne trouvai plus Bakony si perdu. Les habitants étaient vraiment cordiaux,