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avec un arrosoir. De plus, l’hélice, quoique le canot filât merveilleusement, trouvait moyen de nous humecter aussi. De ce jour date ma haine du canot automobile. Ce petit-là faisait autant d’embrun seul qu’une tempête dans le golfe de Gascogne. C’est beaucoup.

Sur l’autre rive, une voiture à quatre chevaux et une escorte nous attendaient. Le prince Arpad a bien huit voitures automobiles : torpedos, limousines, berline, conduite intérieure, car et camion, mais les routes, dans la forêt de Bakony, sont peu qualifiables… Ce fut déjà un problème d’y amener ces chefs-d’œuvre de mécanique. Nous avions eu un jour à dîner l’explorateur autrichien Schwartzmuth. Il nous avait assuré préférer traverser la Cordillère des Andes avec une voiture à conduite intérieure que de venir à Bakony avec une torpedo même ultra-légère. Je me souviens qu’il avait cherché l’âge des ornières dont se paraient ces chemins tordus et ravinés. Il avait constaté que leur écartement correspondait à la largeur de voie des véhicules dont on n’usait plus depuis cent-cinquante ans. Des ornières vieilles comme la noblesse des Effreazy, sans doute…

Il eût fallu, pour aller facilement à Balaton en auto, empierrer le chemin. Mais, dans ce pays de brigands, allez donc amener d’honnêtes cantonniers ! Quant aux habitants des bourgs clairsemés sur les terres du prince Arpad, ils n’étaient pas gens à venir, comme au Moyen âge, œuvrer en corvées à la réfection d’une voie qui ne les regardait point du tout. De plus, il fallait éviter de déplaire aux brigands eux-mêmes. Ils eussent couché des arbres partout pour compléter les agréments de cette piste de steeple-chase. Les soldats des petits forts de protection étaient, eux, de ces vrais guerriers qui ne manient pas la pelle. Bref, on usait par force de cette route archéologique. Avant 1880, le château de Bakony comportait une garnison considérable : trois cents soldats armés et fidèles. On aurait pu les utiliser, car ils avaient guerroyé dans tout l’Orient et savaient manier les instruments du terrassier. Par malheur, on n’avait pas, à cette époque-là, inventé encore l’automobile. Aujourd’hui, la garnison d’antan était fondue et la route de Bakony destinée à garder son aspect néolithique, mais traditionnel et chéri des brigands.

D’ailleurs, le mieux n’était-il pas, pour les Effreazy, de rester en rapports amicaux avec ces hors-la-loi qui, au demeurant, ne sont tels que théoriquement, puisque leur « état » est reconnu. C’est qu’à tout prendre, une forêt, ça peut brûler. Un château aussi. Allez donc éteindre un in-