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nant vaudevillesque. Pour tout dire, je retrouvais ma quiétude.

Néanmoins, le retour était décidé. La valetaille m’obéissait : deux voitures, l’une pour Ida et moi, l’autre pour une sorte de capitaine des valets, nous menèrent en gare de Pesth. Je retins un compartiment entier et y insérai mon élève qui ne dit pas un mot. La domesticité surabondante, en livrée rouge, brodée partout d’or, ne se retira qu’au départ du train, de telle sorte que non seulement le compartiment, mais le wagon entier nous appartint.

Cette retraite stratégique était parfaite. J’étais assurée que le magyar du musée ne viendrait pas nous voir en route. J’avais téléphoné au château dès le matin, et justement la ligne marchait — car les brigands de la forêt la coupaient une dizaine de fois par mois. — On était donc averti de notre retour. À six ou sept heures du soir, je rendrais Ida à sa migraineuse mère, qui ne sortait jamais de ses appartements où elle essayait systématiquement tous les remèdes — et il y en a — inventés dans les cinq mondes contre la céphalée. Ensuite, je reprendrais pour quelques jours, une semaine, mon office institutorial. La huitaine close, je demanderais à partir pour quinze jours en France, sous un prétexte quelconque. Et… on ne me reverrait plus.

Ce plan bien fait, cimenté, solide, m’avait donné toute tranquillité. Je riais même de mes transes venues durant la nuit précédente. Quoi ! Où avais-je alors la tête ? Une jeune fille, vierge et curieuse dans son ingénuité, participe à une intrigue épistolaire comme il en est tant dans le théâtre de Molière. Cela n’est pas si horrible. L’ignorance explique tout. Si l’amoureux était si vulgaire, c’était à la louange d’Ida. Elle n’avait pas cette fierté burlesque des femmes nobles qui craignent toujours de forligner. Où avais-je l’idée de m’en plaindre ?

Là où j’avais vu des monstres terrifiques, il était plus simple de ne voir que des oiseaux-de-paradis…

À une heure et demie, nous fûmes au bord du lac Balaton. Le train fit halte exprès pour nous. Nous revîmes le petit canot-à-pétrole. Il marchait bien, maintenant. Il nous prit et…

Il eût certes été préférable de traverser à la nage. Nous nous fussions moins trempées. Le mécanicien, un Anglais, sous son ciré, était parfaitement à l’abri. Mais les rejets d’eau sautant des deux côtés de l’étrave, nous tombaient dessus, à Ida et à moi, comme si on nous avait aspergées