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familiers et moustachus, ses gardiens de troupeaux si nobles et ses princes vêtus comme les estampes du Premier Empire nous représentent Murat.



Je dormis mal cette nuit-là, Pour la première fois, je tâchai à délimiter mes responsabilités touchant les actes d’Ida Effreazy. D’ailleurs, je les repoussai toutes. Cette fillette obscure, silencieuse et murée, qui m’obéissait mécaniquement et dont je n’avais jamais eu une confidence sincère, n’était pas à moi. Je ne m’étais en rien attachée à elle, non plus qu’elle n’avait appris à m’aimer. Mes devoirs consistaient à lui apprendre ma langue, à lui faire entrevoir la beauté secrète des écrivains de ma race et à lui faire pénétrer l’art d’Occident. Rien de plus ! Malgré tous les raisonnements, pourtant, un souci me brûlait : celui d’être si loin de ma terre natale. Depuis un an que je vivais chez les Hongrois, j’avais eu la sensation de comprendre ce peuple et souvent d’être en lui comme il était, semblait-il, en moi. Le côté superficiel de cette compénétration apparente m’apparaissait aujourd’hui. Que de choses pourtant, rencontrées ici, me restaient incompréhensibles et devaient témoigner d’âmes aussi lointaines de la mienne que l’est celle d’un Cafre. Ainsi, j’avais vu des pendus, oscillant à leur gibet, à certains croisements de routes. Ce spectacle écœurant ne plaît qu’aux races à sensibilité fruste, à perceptions médiocres, à réflexions morales négatives. Même — et le souvenir m’en revenait soudain — le jour de mon arrivé, dans un village perdu au sud de Bakony, on m’avait montré un pal… garni.

Le supplicié provoquait en moi la haine des supplicieurs, et de tous ceux qui aiment les spectacles de souffrance. Mais c’était l’instrument qui m’avait crispé : une tige d’acier, quadrillée près de la pointe — elle sortait près des omoplates du malheureux — pour que la pénétration soit lente. Cela, fixé à deux pierres massives, était scellé avec soin, et une rigole pour l’écoulement du sang serpentait autour des pierres pour aboutir à un trou grillagé près duquel se battaient les chiens du pays. Pouah !