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Ah ! revoir le Café de la Paix, et ce bar américain de la rue Auber, où je faisais assaut de paradoxes avec Blaise Tanaos, pédéraste et poète d’un talent si subtil, errer dans le musée du Louvre, devant les dessins du Vinci, ou rêver au musée Guimet parmi les idoles asiatiques, ou seulement prendre un taxi et me faire promener deux heures durant par le Bois. Petites joies que l’éloignement et l’agaçante aventure de mon élève me rendaient subitement désirables.

Laisser enfin les porchers aux mines de chanteurs napolitains, les portiers qui brandissent des haches de cinq pouces pour vous ouvrir une porte, pousser un verrou ou même pour saluer. Abandonner les tziganes à redingotes, jouant, pour le prince Arpad au bain, des czardas spéciales, et oublier les servantes bottées, avec leurs tailles bouillonnées comme au temps des vertugadins, et ces rubans tendres flottants autour d’elles.



J’ai toujours été telle. Après une émotion, un déplaisir, un ennui, l’existence m’apparaît totalement renouvelée. Je ne reconnais plus les gens. Les âmes ni les faces ne portent plus les mêmes signes. L’art en vient à changer d’aspect. J’ai parfois vu Notre-Dame de Paris vertigineusement svelte. D’autres fois, elle s’attesta fort pataude. Tantôt, le Baiser, de Rodin, me sembla parfaitement chaste, tantôt il me fut une obscène étude de fatigue sexuelle, souvent, du Pont des Arts, j’ai contemplé en aval de la Seine la fuite de ce paysage qu’on a tant vanté. Certains jours, il m’émut profondément. D’autres fois, ces lignes centrifuges désagrégeant l’unité du tableau, le grossier mélange du Louvre luxueux à des bicoques bancroches, et même la vulgarité de ce palais, fait pour entourer de faste de plates débauches royales, provoquaient en moi un complet dégoût. J’ai l’âme instable, en un mot, et j’en suis heureuse, car seules la sottise et la mort sont immuables ici-bas.

Ainsi, en une heure de réflexions, j’arrivai à abominer la Hongrie, sa puszta plate comme un billard, ses habitants orgueilleux,