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reusement interdit. Je m’en aperçus un jour à ses souliers boueux et je flairai quelque histoire. Je n’étais pas responsable du comportement de la jeune fille. Il y avait deux surveillantes. Moi j’éduquais. Mais toutefois, comme je flairais un reliquat de violence irréfléchie chez ces magyars qui vivent toujours trois siècles en arrière de nous, je tenais à éviter toute responsabilité. C’est que j’étais toujours aussi inconnue dans le pays que si j’étais arrivée la veille. Je serais disparue, personne ne se serait soucié de moi. Or j’avais su, par pur hasard, qu’il y avait des oubliettes dans l’aile gauche du château. C’était un lieu redoutable d’aspect. On n’y parvenait que par un pont-levis. Là étaient les écuries, et dans les oubliettes je sus qu’il y avait trois hommes et une femme qu’on nourrissait de croûtes dures.

Le jour où me fut révélé ce détail de la vie châtelaine, en Bakony, je le trouvai seulement rare et curieux. Quand, à l’heure où Ida aurait dû être avec moi dans la bibliothèque, je la vis arriver avec, aux pieds, l’humus de la forêt, je fus mal à l’aise. Aussi me montrais-je dès lors strictement exigeante quant aux heures des cours, et n’abandonnais-je Ida, lorsque j’en avais fini avec elle, sinon lorsqu’une de ses duègnes en prenait possession. Peu à peu, toutefois, j’oubliais ces malheureux des oubliettes. Ma surveillance, néanmoins, parut irriter Ida et même la duègne favorite, une antique Hongroise hydropique qui ne m’adressait jamais la parole, ce dont, au surplus, j’étais ravie.

Le prince Arpad vint, à ce moment-là, séjourner un mois au château. En général il vivait par monts et par vaux ou alors au parlement hongrois dont il faisait partie, ainsi que de la Chambre des Seigneurs. Il avait un somptueux hôtel à vienne et était un des favoris de François-Ferdinand, archiduc-héritier de la couronne des Habsbourg.

À l’étude, Arpad Effreazy apparaissait un simple féodal de notre douzième siècle. Il avait été éduqué à Pesth, et, bien entendu, portait un vernis épais de courtoisie souriante. Mais il avait du féodal l’irritabilité prompte, la confiance aveugle en soi et le sens orgueilleux de l’omnipotence qui détruit toujours le sens critique.

Aussi, moi qui vis le jour au pays des esprits équilibrés, où nul sentiment n’annule jamais totalement les autres, je sentais la nécessité d’une extrême prudence dans les rapports avec Ida, et d’un contrôle, aussi strict qu’il m’était licite, sur les actes de mon élève. Le père avait beau