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En tout cas, Ida ne me manifestait ses sentiments qu’involontairement. D’ailleurs, durant longtemps, je crus devoir attribuer l’hostilité que je lisais dans ses actes à la seule différence des races. Il est certain que cette jeune fille était loin de moi. Elle avait quelque chose de cauteleux dans une étrange hypocrisie autoritaire. Le secret de son intelligence cynique, mais scellée, me resta un mystère presque jusqu’au bout. Vous verrez comment je compris enfin cette âme orgueilleuse et vulgaire, échappée d’un récit de Brantôme en plein XXe siècle.

Toutefois, avec la fille du prince Arpad, je vécus longtemps sans aucun souci ni désagrément. Seul son regard dénonçait sa haine. Ses actes étaient corrects et courtois. Nous visitâmes toute la contrée, et j’aimerais, si je ne racontais pas une histoire qui a début, milieu et fin, vous détailler quelque peu la vie hongroise, en ses aspects originaux, savoureux et plaisants. Nous restâmes par exemple un mois — elle était souffrante — aux bains de Füred, le Deauville hongrois, sur le lac Balaton.

Quel spectacle amusant m’apportait le quotidien défilé des curés magyars, en hautes bottes, gants blancs et chapeau mou, se rendant aux thermes. On les voyait ensuite revenir avec de puissants banquiers juifs et leur donnant des ordres de Bourse, ou conversant avec de hautes courtisanes de Pesth.

Tous les jours, de l’aube à minuit, des tziganes en redingote jouent à Füred une musique languide et fiévreuse qui fait gonfler le cœur des belles magyares. Les tziganes sont garantis tels, car ils payent patente. Cette patente est peut-être le seul impôt au monde dont les assujettis tirent orgueil. C’est un brevet de race pure.

Quand aux bains, je ne les fréquentai point. On m’assura qu’ils évoquaient, avec une excessive rigueur, ces bains suisses, où Casanova put admirer le phénomène féminin dont il parle dans ses mémoires…

Le château Effreazzy était, je l’ai dit, au centre de l’immense forêt que quatre chemins traversaient à angle droit.

Trois de ces routes étaient réduites à leur plus simple expression : sentiers louches et incertains, où nul ne s’aventurait. La seule voie du lac Balaton et de Füred, menant aussi à la ligne ferrée Pesth-Agram, était entretenue. De petits fortins se succédaient tout au long. Des soldats portant l’uniforme historique des régiments Effreazy vivaient en ces blockhauss, nettoyant à peu près la route, et garantissaient la sûreté des rarissimes