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sont, nobles ils restent, et avec quelle dignité bien théâtrale, mais la plupart n’ont pas les moyens de parader avec les bottes à éperons d’argent qui sont l’uniforme de la noblesse riche.

En tous cas, qu’ils soient bergers, charrons, porchers, ou mieux, ou pire, ces paysans ont l’orgueil de leur naissance. En un grand nombre de villages, ils assument avec correction toutes les fonctions municipales.



J’étais donc institutrice chez le prince Arpad Effreazy. Au fond, c’était une sinécure. J’ai, d’ailleurs, d’excellentes facultés d’accommodements à toutes les circonstances de la vie. Au bout d’un mois, je me trouvai donc à l’aise en ce mélange de pompe hautaine et de cordialité souriante qui caractérise tous les magyars de condition.

La jeune fille que j’éduquais avait de merveilleuses dispositions polyglottes. Elle savait le français à ravir avant que je pusse m’expliquer en sa langue. C’était une adolescente mince et droite, aux yeux durs et curieux, couleur d’eau trouble. Elle avait une face un peu chevaline, mais belle, ponctuée par un nez mince et arqué, surplombant une bouche italienne gonflée, agile et rouge.

Elle s’habillait fort mal et il était sans doute impossible de lui donner ce goût qui naît spontanément chez n’importe quelle midinette parisienne. Bien faites ou pas, ses robes allaient déplorablement. Un jour, que je voulais lui exprimer comment il faut concevoir l’esthétique de la mode féminine, elle me dit :

— Vos jolies femmes de Paris se vêtent pour se donner ; les femmes comme moi s’habillent pour prendre…

Elle riait en articulant cette phrase dont le sens m’échappa un temps.

Je n’eus jamais la sympathie d’Ida Effreazy. Je pense qu’elle aurait préféré à une Française vive, preste, aux regards aigus, une docile institutrice berlinoise, à l’âme plastique et ingénue. Mais le prince Arpad ne voyait que par la France.