Page:Dunan - Le Brigand Hongre, 1924.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des traitements d’ambassadeurs. Il y a un médecin et un pharmacien attachés au château ; un joaillier-orfèvre, pour soigner et entretenir l’argenterie avec les bijoux de la puissante famille. Les enfants adultérins, que reconnaissent les mâles de la maison, sont élevés dans une aile du château. J’ai connu six chauffeurs anglais pour l’écurie d’autos du prince Arpad, et cent dix chevaux de selle ou de trait étaient toujours au ratelier, soignés, comme des chanoines, par un chef-palefrenier d’Écosse qui ne quittait jamais ses gants blancs.

Il n’était pas de jour où, de tous les grands magasins du monde, choisis sur catalogue par les femmes de la maison, il n’arrivât des objets innombrables : parfums des Galeries Lafayette ou du Bon Marché, à Paris ; lingeries de la Cour Batave ; bibelots de Seefridge, à Londres ; maroquinerie de Wertheim, à Berlin ; instruments de chez Sears-Roebuck, de Chicago ; argenterie de Tiffany, à New-York, ou de Lalique, place Vendôme. Et des selles d’Epsom, des graines de plantes envoyées par Vilmorin, des livres de Leipzig ; des soieries de Lyon, de Crefeld ou de Milan.

On devine quel prodigieux gaspillage c’était là. Mais une beauté en cette frairie tenait aux vieux et nobles usages d’hospitalité qui conservent en Hongrie une dignité curieuse et plaisante.

Avec cela, ces princes magyars, malgré leur richesse, pour le maintien de laquelle cent cinquante mille paysans retournent la puszta, n’ont rien de la morgue allemande — laquelle n’est pas exclusivement germanique. Ils ont beaucoup de la dignité affectueuse du gentlemen-farmer anglais : simplicité, cordialité, familiarité, bonhomie. Et cela n’est pas sans donner à leur faste une magnifique dignité seigneuriale. À dire vrai, la simplicité du prince hongrois s’explique par une autre bizarrerie, spécifiquement magyare, et qui met le cultivateur au niveau de son maître, lequel n’est qu’un « suzerain ».

C’est qu’en Hongrie florit — et particulièrement à Bakony — ce mouton à cinq pattes : le paysan noble.

Aux temps héroïques de la lutte contre les Allemands, les Turcs et les Tchèques, il advint que certains monarques magyars, désirant honorer leur peuple, aux marches trop exposées, ou bien défendues, anoblissaient des villages entiers. Les descendants de ces ruraux anoblis sont nommés aujourd’hui Bocskoros, c’est-à dire mal chaussés. C’est que, nobles ils